Linguistique amazighe

Mes articles publiés


LA TRADUCTION VERS LE BERBERE DE KABYLIE : Etat des lieux et critiques. (2005)

[Note importante. Voilà comment citer ce texte en bibliographie :

CHEMAKH Said, 2005, « La traduction vers le berbère de Kabylie : Etats des lieux et crtiques », in Actes du Colloque International. Traduction vers l’amazighe : problèmes et solutions pratiques. Tanger, les 15 et 16 novembre2005. IRCAM, Rabat,2005. ]

                                                  ************

LA TRADUCTION VERS LE BERBERE DE KABYLIE :

Etat des lieux et critiques. (2005)

Par  Said Chemakh

Chercheur post-doctorat

CRB/INALCO, Paris

 

 

 

 

Introduction :

          

         Notre propos portera sur ‘la traduction vers le berbère de Kabylie’. Par traduction, nous entendons texte ou ouvrage ‘censé(e) remplacer le texte-source par le ‘même’ texte en langue-cible’  comme le mentionne J. R. Ladmiral (1994 : 15) dans Traduire : théorèmes pour la traduction. Il note aussi que ‘à strictement parler, le texte-cible n’est pas le même que le texte original, mais n’est pas non plus tout à fait un autre’. Par berbère de Kabylie, nous entendons le dialecte kabyle uniquement. Même si une œuvre ne porte que la mention ‘traduit vers le tamazight ou berbère’, nous tenterons de situer la variété sociolinguistique usitée : si c’est du kabyle, nous la retiendrons. Nous n’excluons pas les autres traductions vers le tamazight, le tachelhit, le tarifit, le touareg et le tachawit mais nous nous focaliserons que sur celles produites en kabyle que ce soit en Algérie ou ailleurs.

         Les œuvres de création étrangère adaptées au système linguistique et axiologique du kabyle ne dateraient pas du XX°s. Mais, même si ce mouvement de traduction ait été enclenché depuis des siècles, nous ne pouvons le justifier du fait de l’absence de sources écrites. Et ce n’est qu’à partir du XIX° s. que des œuvres sont formellement identifiées comme ‘traductions’, ‘interprétations’, ‘translations’, ‘adaptations’…

         Pour mieux cerner l’objet de notre étude, nous procéderons suivant un plan à six parties  :

1°- Il s’agit avant tout de repérer les différentes causes et raisons qui ont poussé des personnes à traduire vers le kabyle.

2°- Il faudrait tenter d’inventorier l’ensemble voire uniquement la partie émergée de la totalité des œuvres pouvant être qualifiée  de ‘traductions’.

3°- Il y a d’analyser la façon dont les textes étrangers sont traduits.

4°- Il faut, par ailleurs,  revenir sur le profil et parcours des ‘agents de la traduction’ ainsi que sur les langues à partir desquelles ils traduisent.

5°- Les traductions vers le kabyle ont fait l’objet d’appréciations et de jugements. Il y a, donc, d’en rendre compte de ces dernières.

6°- Nous formulerons des critiques d’ensemble avant de conclure et de formuler des propositions pour une meilleure approche de la traduction.

 

I. Traduire vers le kabyle, Pourquoi ?

 

         Depuis près d’un siècle et demi que les premiers textes traduits (et/ou adaptés) du français et de l’arabe, les raisons qui ont motivé ce mouvement de passage des autres langues vers le kabyle se sont multipliées et diversifiées.

         Les premiers textes traduits et formellement publiés remontent exactement à 1858[1]. Il s’agissait de textes de lecture avec lesquels  A. Hanoteau voulait illustrer son Essai de grammaire kabyle. N’ayant pas de textes disponibles au moment de la conquête de la Kabylie (1856/57) puisque les deux dictionnaires disponibles et en usage chez les militaires et interprètes ne fournissent pas de textes, A. Hanoteau sollicite M. Bresnier, un enseignant et auteur d’une grammaire de l’arabe,  qui lui fournit des textes tirés de Lokman. Il y a lieu de penser que A. Hanoteau a recouru au service de Si Ahmed Ben Ali, lettré des Iboudraren pour les traduire en kabyle. Les premiers textes traduits et publiés sont donc : Agerfiw d ubara$ [=le corbeau et le renard], waréagen d tweîîuft [=la cigale et la fourmi], izem d ubare$ [le lion et le renard] de La Fontaine et Tizerzert [=la gazelle] et izem d wezger [=le lion et le taureau] de Lokman. Pour illustrer les ressemblances entre neuf dialectes berbères, A. Hanoteau se servira d’une historiette traduite de l’arabe au français et extrait du manuel de Bresnier.

         A. Hanoteau n’en restera pas là puisqu’il sera le premier traducteur de catéchisme et extrait du Nouveau Testament en kabyle, en plus des excellents travaux d’ethnologie/sociologie kabyle et de recueil de poésie traditionnelle dont il sera l’auteur.

         Le berbérisant R. Basset éditera en 1883, à Alger, les sept premiers chapitres de l’Evangile selon Matthieu.

         Les normaliens Boulifa et Bensedira vont traduire des extraits d’œuvres en français (et en arabe) pour illustrer les exercices de thèmes et versions de leurs cours. Certaines de ces versions sont d’ailleurs données sont comme sujets d’examens aux épreuves du Brevet de langue kabyle.

         Dans les années 40, les berbéro-nationalistes traduiront des textes tels que l’Internationale d’Eugène Pottier ou Ich hatte einen Kamerad d’Uhland.

         Dans les années 50, le Fichier de Documentation berbère publié deux traductions de fables de La Fontaine ainsi qu’un conte tiré des Mille et une Nuits intitulé Aeli u remdan, ahwanti n Be$dad sous forme de pièce de théâtre.

         Mais jusqu’aux années 1970, la majorité des traductions vers ne concernera  que les textes religieux chrétiens. La majorité de ces textes sont produits par le Diocèse d’Alger (XIX°s.) puis par le Dépôt Biblique (années 20). Ces traductions répondent aux soucis de l’Eglise d’apporter le message du Christ dans la langue en usage chez populations kabyles comme c’était le cas dans les 2500 langues vers lesquelles la Bible est traduite.

         A partir des années 70, le premier noyau de militants traducteurs se constituera à l’Université d’Alger autour de Mouloud Mammeri. Il sera vite relayer par le Groupe d’Etudes Berbères l’Université Paris VIII.

      Durant les années 80/90, d’autres traducteurs issus de la mouvance culturelle berbère viennent s’ajouter aux deux premiers noyaux.

       Les militants-traducteurs sont motivés par le souci de mettre à la disposition du public berbérophone d’auteurs mondialement connus. Selon S. Chaker (1993 : 15), ils ‘ont en commun la volonté d’insérer la langue et la culture berbère dans la modernité, de s’approprier les éléments fondateurs du patrimoine historique, culturel et éthique international’.

         En premier lieu, il s’agit de montrer que le berbère est langue vivante et moderne puisqu’elle est apte à véhiculer la littérature universelle. Sans  littérature écrite et traduction, une variété linguistique peut être minorée, niée et exclue des sphères du pouvoir, du marché et des systèmes de productions culturels. Le fait de choisir de traduire des écrivains ayant reçu le prix Nobel[2] n’est pas totalement innocent. Il en de même des écrivains non francophones avec qui l’enjeu est encore plus ardu : montrer que ce qu’écrit Lu Xun en chinois, Mrozeck en polonais ou Pirandello en italien peut se lire, se dire et se jouer en berbère.

Par ailleurs, Nous remarquons que les textes traduits sont vite repris comme supports d’enseignement aux berbérophones. Nous avons signalé dans notre étude sur le manuel Langue berbère, initiation à l’écriture, cf. Chemakh (1999 :103) que ‘Idéologiquement, le choix des textes n’est pas neutre, il s’explique (aussi) par la volonté de permettre l’accès à la littérature universelle et particulièrement occidentale, par le truchement de traduction et de l’adaptation’.     

La seconde motivation de ces traducteurs est d’enclencher un renouveau dans la littérature berbère en introduisant des genres jusque-là  inconnus  en littérature traditionnelle à l’instar de la nouvelle, du roman et du théâtre moderne.

 

II.  Qu’est-ce qui est traduit vers le kabyle ?

 

         Bien qu’il soit difficile de dresser une typologie claire et précise de ce qui est traduit en kabyle sur la base de critères rigoureux, il y a lieu de tenter  une petite classification pouvant permettre de distinguer les grands  ensembles de textes traduits.

         Dans cette classification, nous distinguerons les textes littéraires, les textes religieux, des textes politiques et divers(scientifiques, critiques...).

 

II. 1.Les textes littéraires :

         Ils seront classés par nom d’auteur. On distinguera les traductions des œuvres complètes des extraits (ou textes simples)

 

1.1.         Les œuvres entières :

 

AIT MANSOUR-AMROUCHE F. Histoire de ma vie, Maspéro, Paris, 1967. Ce roman autobiographique a été traduit par S. Bala dans le cadre de son DEA à l’Inalco en 2000, trad. inédite.

ALLEG H. La Question est traduit par A. Mezdad en 1979. Un extrait est publié dans Ayamun N°4 (2001).

BECKETT S. la pièce Am win yettraoun Öebbi [=En attendant Godot] a été traduite par Muhend u Yehya et joué pour la première fois dans les années 80 à l’Université de Tizi-Ouzou.

 

BELLEMARE P. De nombreuses histoires de cet auteur sont traduites par Ait Ighil M. Les premières sont publiées dans un recueil Allen n tayri Bgayet 1998. D’autres sont publiés dans le recueil intitulé Atlanta, Bgayet 1999.

BRECHT B. Deux pièces de ce dramaturge sont traduites par Muhend u Yehya. Il s’agit de :

a- Llem-ik, ddu d uvar-ik [=l’exception et la règle], publiée par Tala, Paris, 1974.

b-Aneggaru ad yerr tawwurt [=La décision], publiée par le Bulletin d’Etudes Berbères, n°9 à 11, 1976/77.

BUCK P. Le roman Tayemmat [=La mère] a été traduit par Mohamed Ait Ahmed en 1976. Il n’est disponible que sur support audio et diffusé à plusieurs fois par la radio Chaine II (kabyle).

CAMPS G. Berbères, mémoire et identité. Ce livre d’histoire publié chez Errance en 1985 a fait l’objet d’une traduction par Mohand Ouamar Oussalem, dans le cadre d’une thèse de Doctorat en linguistique berbère qu’il prépare actuellement à l’Inalco.

CAMUS A.  Caligula est traduit par A. Mezdad en 1975.

ERDMANN N. la pièce Axir akka wala deg uéekka [=le suicidé] a été traduite par Muhend u Yehya.

FERAOUN M. Trois œuvres de Mouloud Feraoun ont été traduites en kabyle :

a- Ussan di tmurt [=Les jours de Kabylie]. Il existe au moins trois traductions de cette œuvre. La première, incomplète, est celle donnée par Ferhat Mehenni dans la revue Tafsut 8-10 (1984/85). La seconde est celle publiée par Kamal Bouamara avec le concours du HCA en 1997. la troisième est l’œuvre de Yidir Ait Amrane. n’est qu’une ‘copie’ de la traduction de K. Bouamara.

b-Mmi-s igellil [=Le fils du pauvre] est traduit par Moussa Ould Taleb et publié par le HCA en 2003.

c- Le journal , est selon A. Mezdad, traduit par M. Ait-Ahmed.

GIBRAN K. Nnbi [=Le prophète] est traduit par Farid Abache et publié par Laphomic, Alger, 1991.

GIDE A. La nouvelle Tu$alin n weqcic ijaêen [=Le retour de l’enfant prodigue] est traduite par Kamal Bouamara en 1995. Elle est publiée à compte d’auteur en Algérie puis dans la revue Notes de linguistiques berbères à Paris, (1995-1996). Elle est, par ailleurs, reprise dans Ayamun 24 (2006).

JARRY A. Caebibi [=Ubu Roi] est traduite par Muhend u Yehya. Elle est diffusée sous forme de K7 audio.

KATEB Y. Trois pièces de cet écrivain ont été traduites en kabyle.

a- Ddem abaliz-ik a Mu [= Mohamed, prends ta valise]. Traduite par Benmohamed, Said Sadi et Amar Mezdad avec l’accord de l’auteur, cet pièce est jouée et a remporté le premier au Festival de Carthage en 1971. Elle est publiée en 1975-76 dans le Bulletin d’Etudes Berbères, 5, pp. 25-40, 8, pp. 35-47 et 9-10, pp. 75-94.

b-Kahina [=La guerre de deux mille ans]. Traduite et jouée à la fin des années 70, cette pièce n’est publiée qu’en 1992 dans Awal 9, pp. p. 221-230. Deux autres versions existent dont une en tamazight du Moyen Atlas.

c- Aɣebbar s allen [=la poudre d’intelligence ]. Traduite dans les années 70 par S. Sadi et A. Mezdad, elle est publiée partiellement en 1981 dans Tisuraf 7, pp.53-64. Elle est rééditée dans Ayamun N° 6 et 7 (2001).

LA FONTAINE Les Fables. On en dénombre plus d’une dizaine de  traductions des fables de Lafontaine. De deux ou trois textes traduits, on y va parfois jusqu’à une soixantaine.

LONDON J. Le loup des mers.

LU XUN. Deux nouvelles de cet écrivain chinois ont adapté en pièce de théâtre par Mohia. Il s’agit de :

a- Muend u Caeban [=Le ressuscité]. Adapté en film VHS, cette version est édité aux Editions berbères, Paris, 1992.

b-Muê terri [=La véridique histoire de Ah Qu]. Disponible en K7.

MAMMERI M. Aberi tili [=La cité du soleil]. Cette sottie est traduite par Idir Ahmed Zaid et publié en 1989 dans le recueil d’hommages Awal ɣef Dda Lmulud, Asalu, Alger, 1989.

MARAM Al-Masri, Une cerise rouge sur …. Poésie syrienne traduite par Brahim Tazaghart, Alger, 2007.

MAUPASSANT G. Di ssuq n Ieẓẓugen [=Les ficelles] est traduite Muhend u Yehya, disponible en K7 n°5.

MOLIERE. Deux pièces sont traduites en kabyle par Muhend u Yehya :

a-       Si Leêlu [=Médecin malgré lui], publié en 1986-87 dans Awal 2 pp. 145-156 et 3, pp. 147-190. Il existe aussi une K7 VHS diffusée par l’ACB, Paris.

b-      Si Pertuf [=Tartuffe]. Cette pièce est jouée à Paris mais existe uniquement en K7 audio.

Une traduction partielle de Don Juan est publiée dans Ayamun 4, 2001.

MROZEK Sin nni [=Les émigrés]. sont traduites en kabyle par Muhend u Yehya

OUETTAR T.

a- Remmana, traduite de l’arabe par Belmadi. Ce roman est publié par Al-Jahidya, Alger, 2000.

b- Ddurt-a ad d-uɣalen ccuhada [=Les martyrs reviennent cette semaine], traduite en 1987 par A. Mezdad et publié dans Ayamun  11 et 12 (2002).

PIRANDELLO L. Tacbalit [=La jarre] est traduite par Mohia.

PREVOST D. [=Le pont de la révolte] est traduit par Karim Bentaleb, (en cours d’édition).

SAINT EXUPERY A. de Ageldun amezyan [=Le petit prince] est traduit par Habib Allah Mansouri. Il est publié par le HCA en 2004. Une première traduction en tamachaq (en caractère tifinagh) est publiée par l’Imprimerie nationale à Paris en 1956 sous le titre Agg Ettebel. C’est cette version qui a été reprise dans la revue Tifinagh 9 à 14, 1996/1998, Rabat. Une autre traduction de Fouad Lahbib, en tamazight, est publié par l’Ircam (Rabat) en 2004. 

 

SARTRE J. P. Deux pièces sont traduites :

a- Morts sans sépulture, traduite par Muhend u Yehya et publiée en 1973-74 dans le Bulletin d’Etudes Berbères 2, pp. 17-27 et 3, pp. 16-28.

b-La P… respectueuse, traduite Mumuh Loukad (et revue par Mohia) mais n’a jamais été publiée.

SHEAKSPEARE W. Rumiyu d Juliet [=Roméo et Juliette]  traduit par A. Hamane et publié par l’Association Numidya, Oran, 2003. Une autre version non-publiée est realisé par Majid Hadj-Said, Alger, 1990.

         Du même auteur, un extrait de King Lear est publié sur le site Imyura.

TCHEKOV A.

De nombreuses nouvelles ont été traduites par M. Ait Ighil La première est publiée dans un recueil intitulé Atlanta, Bgayet 1998. Les autres portent le titre Tchekov s teqbaylit [=Tchekov en kabyle], Bgayet, 2002.

VOLTAIRE Muend u Caeban [=Gménon ou la sagesse humaine]. Ce conte philosophique est traduit par Muhend u Yehya et publié en K7 audio, n°4.

 

          

1.2.         Les extraits (et textes simples)[3]:

 

ABDELQOUDOUS. La nouvelle Le voleur d’autobus a été traduite par Ait Ighil M. et publiée dans un recueil intitulé Allen n tayri, Bgayet 1998.

AMROUCHE T. des extraits des contes intitulés Le grain magique, éd. Maspéro, 1967, ont été publiés dans diverses revues ainsi que dans des manuels.

BAYDAQ Al- Tadyant n Imweêden =Histoire des Almohades publié par Redjala M. dans Littérature Orale Arabo-Berbère. 1977. p. 81-108.

BAUDELAIRE, Fleurs du mal, quelques textes<sont traduits, il s’agit essentiellement de     publié dans Rivages n°9/1989, Tazmalt.

DE MARBOT, Tasebenyult [=l’Espagnole]. Le récit est extrait des Mémoires de ce général de l’armée napoléonienne. Revue  Tafukt N° 1/1994, Tizi-Ouzou.

GOETHE J. un extrait de Souffrances du jeune Werther est publié sur le site Imyura.

HIKMET N. Tecbi tiɣirdemt a gma [= Tu es comme le scorpion, mon frère], publié dans Isefra (Supplément à Tisuraf.) de Lwennas Iflis, 1977.

KIPLING R. Ad tiliv d argaz a mmi =Etre un homme, les silences du colonel Branle. La version kabyle chanté par Ali Ideflawen est traduite de la version française d’André Maurois.

KHAYYAM. Rubayeat [= Les quatrains]. Près d’une trentaine  des célèbres quatrains sont traduits par A. Hamane (avec adaptation sous forme de poésie rimée). Un seul est publié.

POTTIER E. Tagerɣlanit [=L’Internationale]. Une 2ème  version est publiée sous le titre Anwi i d imawlan-is ? dans le  Bulletin d’Etudes Berbères, 8. 1976, p. 49.

RIMBAUD A. Outre Le dormeur du val traduit et chanté par L. Matoub (1987), il existe une adaptation poème Jugurtha (composé en latin en 1869). Cette traduction faite par M. Bouyahia est publiée dans la revue Notes de linguistiques berbères à Paris, 2 (1995), pp. 27-30.

ROBLES E. Aqqur n tmurt n Leqbayel =Le rossignol kabyle. Cette traduction peu connue  est publiée dans Imaziɣen (bulletin de l’Académie berbère) à Paris, n°47 (1976).

SALLUSTE, Amgaru n Yugurten =La guerre de Jugurtha, publié dans Bulletin d’Etudes Berbères 12, 1977, puis repris dans Tisuraf  7, 1981, pp. 82-85.

UHLAND, ɣuri yiwen umeddakel =Ich hatte einen Kamerad. Texte traduit par A. Imache (1945) et chanté par Ferhat Mehenni (1979)

VIAN B. Amezzarti [= Le déserteur]. On dispose de deux versions. La première est chantée par Ferhat Imazighen Imula après avoir l’objet d’une publication de Mohia, Isefra. La seconde version est traduite et chantée par L. Matoub.

 

2.Les textes religieux, sacrés et autres.

 

2. a. La Bible et autres textes (catéchismes, prières…).

 

         Un premier inventaire des textes de l’Ancien et du Nouveau testament est donné dans Bibliography of African language texts publié dans The collections of the School of Oriental and African Studies, University of London, 1963, par  M. Mann et V. Sanders, London. Un autre inventaire plus exhaustif est donné par L. Bougchiche dans sa Bibliographie…

Ces traductions se répartissent dans le temps comme suit :

-Des petits essais élaborés par des missionnaires du Diocèse d’Alger, de père jésuite ou même avec l’aide de linguistes (A. Hanoteau, R. Basset). Parmi ces textes,  on retrouve donc :

Aktab n tiebratin d injilen s teqbaylit. édité par A. Hanoteau,  Alger, 1869.

Injil n Sidna Aisa lMasih' akken ittwakteb  s rrsul Matthieu édité par R. Basset. - Alger, 1883. [Adaptation en kabyle des sept premiers chapitres de l'Évangile selon St Mattieu].

 Injil n Sidna-Aïsa lMasih akken ittwakteb s Louqa, London, The British and foreign Bible society, 1894, 79 p.

Injil n Sidna-Aïsa lMasih' akken ittwakteb s Matta, London, The British and foreign Bible society, 1895, 74 p.

 

à ces ouvrages peuvent s’ajouter

Akatecism ne dyusis n Ledzyer s taqebailit. Catéchisme du diocèse d'Alger, édité par A. Hanoteau, Alger, 1868.

Catéchisme du diocèse d'Alger. Épîtres et Évangiles...  publié par J. B. Creusat dans son Essai de dictionnaire kabyle.

 Akatechizm amechtuh' n ldiocez n Ldzaïr, it'erjems teqbailit s J.J. amrabed’ n les Pères Blancs, Levé, Paris, 1896.

Quelques portions de la parole de Dieu : kabyle-français. Edité par H.S. Mayor, Bridel, Lausanne, 1889, 84 p.

 

Au début du XX°s., les traductions publiées essentiellement par le dépôt biblique sont assez longues et de meilleures qualités que celles du XIX°. Il s’agit de :

Injil n Sidna Aïsa lMasih akken ittwakteb s Yahia. - Alger : Dépôt biblique, 1926.

Evangile de Si Luc en Kabyle. - Alger : Dépôt biblique, 1929. – 110 p. [En caractères arabes].

Taktabt n nnbi Ichâia.,  Esaie en kabyle, Librairie Nord-Africaine, Paris/Le Dépôt biblique, Alger, 1928.

Taktabh lkcicel n dunit.,  La Genèse en kahyle, LNA,  Paris/Le Dépôt biblique, Alger, 1928.

Lâeqd ajedid' n Sidna Aïsa lMasih', Dépôt biblique, Alger, [s.d.]. -377 p.  

Taktabt n lemtul , Proverbes (les), LNA Paris/Le Dépôt biblique, Alger, 1928.

Taktabt n zabur, Psaumes (les), LNA,  Paris/Le Dépôt biblique, Alger, 1928.

 

A ces ouvrages peuvent s’ajouter :

Catéchisme historique, traduit en kabyle et arrangé par E. Guendet,Typo Litho, Alger, 1916, 72 p.

Taktabt n ttedkir. [ Livre de prières] édité par E. Guendet, Léon, Alger, 1921, 136 p.

 

A ces deux étapes vienne s’ajouter une dernière plus récente : elle débuterait en 1987 avec la publication de Injil s$ur Luqa, par les Pères Blancs à Paris, (142 p. avec glossaire) puis d’un livre de prière (1989). Elle sera poursuivi par l’Association chrétienne d'expression berbère domicilié à  Lyon (1990) puis à Paris.

- Ahbib n Rebbi : tiktabin n Luqa s tmazi$t. [ L'ami de Dieu : les écrits de Luc [adaptés] en berbère ], ACEB, Lyon, 1990. - 138 p., carte, glossaire.

Injil n Ssidna nne$ Yasue Lluasih,  ACEB, Paris 1991, 408 p., carte.

Awal n tudert : adlis n Lêeqed ajdid. [ Paroles de vie : le livre du Nouveau Testament ], ACEB, 1995, 604 p.

Par ailleurs, cette association a édité le texte du scénario du film Zzman n Sidna Aisa s tutlayt n Leqbayel, ACEB, Paris, 1995, 33p.

 

Ces dernières traductions ont le mérite d’être plus complètes, plus claires à lire, rédigées avec le système usuel actuel et souvent complétées d’un glossaire.

 

A côté de ces textes, on peut mentionner la traduction le livre traitant de la vie et des apports de Jésus écrit Mac Dowell Am unejjar ne$ kter  [tel un charpentier ou plus] traduit par Y. Bouchama, Paris, 2005.

 

 

2. b. Le Coran.

 

         Le Coran est sans doute le premier texte traduit et adapté en berbère de Kabylie. En effet, une tradition d’explication en kabyle du message coranique existe dans les zaouïas depuis au moins le XVI° s. avec l’apparition des imraben ou ‘groupes maraboutiques’. Tradition qui s’est renforcée à la fin du XX°s. avec l’apparition des moyens modernes  de transmissions (mégaphones, radio-Chaine 2, K7…).

         Mais nous ne disposons de traduction écrite de versets du Coran qu’avec la publication par K. Nait-Zerrad en 1993 de un essai de traduction du Coran en berbère. Etudes et Documents Berbères, 10, où l’on retrouve deux sourates la Fatiha [Ouverture] et Al Qariɛa. Après la soutenance et la publication de sa thèse de Doctorat en linguistique berbère sous le titre Essai de traduction partielle du Coran en berbère, on  dispose de 49 sourates traduite en kabyle.

         En 2003, une autre traduction, plus complète que celle de K. Nait-Zerrad est entamé par Hadj Mohand avec le soutien d’organismes relevant des Affaires Religieuses algériennes.

         En 2006, une traduction complète du Coran est publiée à Alger par Ramdane Ouahes.

         Il semblerait que ce n’est pas seulement la reconnaissance de tamazight comme langue nationale en Algérie (2002) qui a motivé ces deux dernières initiatives. Mais aussi d’autres raisons dont la publication de la traduction complète du Coran en tamazight par M. Houssin Jouhadi au Maroc qui a contribué à une décrispation en milieu kabyle quant à une traduction du livre saint de l’Islam en kabyle. Car, pendant longtemps, les milieux religieux traditionnels kabyles relayés par la suite par les services du Culte de l’Etat algérien répondaient l’idée que le Coran ne peut se dire qu’en arabe ! car révélé en arabe (Wa innamã anzalnã-hu Qur’ãn′ⁿ earabiyy′ⁿ ). Bien que l’intérêt pour la traduction du Coran s’est fait sentir depuis les années 70 chez certains militants berbéristes et ce, en vue de contrer l’avancée de l’arabo-islamisme. M. Haroun est le premier à préconiser cette démarche et à l’assumer ouvertement.

 

3.Textes politiques.

 

         La majorité des textes politiques datent des années 90. Ils sont l’œuvre de structures liées aux deux partis à base kabyle, le FFS et le RCD. D’ailleurs, certains sont publiés dans les journaux de ces deux partis : Amaynut et Asalu. Il s’agit essentiellement des déclarations des leaders de ces partis ou de quelques structures nationales et/ou régionales.

         Dans ce cas précis ou la version française est disponible, On parlera de ‘déclarations traduites’. Nous n’incluons pas les tracts émanant de l’Université de Tizi-Ouzou durant les 80 ou des divers textes publiés dans Tafsut, Tilelli, Tamurt/le Pays… dont nous ne disposons pas de version française.

         Le texte politique qui a connu trois traductions différentes est la Déclaration Universelle des droits de l’Homme.

 

4.Textes divers :

         Les revues associatives tout comme les journaux tels que Tamurt/le Pays ont publiés de nombreux textes scientifiques, de critique littéraire, d’économie… La majorité de ces derniers sont des traductions de versions françaises disponibles (ou supposées)[4].

 

III. Comment c’est traduit ?

 

         A l’inverse de la traduction pragmatique qui concerne les documents techniques, textes scientifiques, la traduction littéraire ; la traduction littéraire concerne les diverses créations du domaine littéraire (roman, poésie...). En plus d’une parfaite  maîtrise des deux langues,  cette dernière demande des grandes aptitudes en stylistique et des connaissances culturelles et civilisationnelles étendues.

         Dans le domaine berbère, aussi, on retrouve les deux tendances ou écoles de pensées : les ciblistes et les sourcistes .

         Le traducteur sourciste, rappelons-le, privilégie le texte de départ essentiellement dans sa forme (la langue source). Il s’agit pour lui de transmettre avec fidélité  la forme du texte de départ quitte à contraindre le texte d’arrivée à accepter de nouveaux éléments stylistiques. Les éléments culturels sont gardés de façon intacte et ce n’est que dans une seconde étape qu’il s’attellera à bien rendre le sens du message du départ.

         La majorité des traducteurs amateurs vers le berbère sont des sourcistes. Ce qui engendrera souvent des critiques de la part de lecteurs qui vont jusqu’à qualifier certaines œuvres de ‘traductions électroniques et/ou d’Internet’ ! Certes, on comprend le souci de certains traducteurs d’être fidèle à la forme du texte original, quant il s’agit de traductions de la Bible ou du Coran, mais cela ne se justifie pas en poésie, par exemple. 

         Le traducteur cibliste, quant à lui,  se soucie de ‘faire passer le message’ quitte à échanger les éléments culturels contenus dans le texte de départ par d’autres plus équivalents que le lecteur du texte d’arrivée est à même de saisir. Tout en demeurant fidèle au texte de départ, le traducteur cibliste veut rendre le sens du texte d’arrivée naturel et aisément compréhensible en langue cible.

         Un bon nombre de traducteurs vers le berbère sont des ciblistes. Et certains critiques vont jusqu’à qualifier les œuvres traduites de créations ! Cette tendance à privilégier le texte cible au détriment du texte source aboutit dans les cas extrêmes à l’adaptation, qui rappelons-le est une forme d’interprétation du texte source. Mohia a excellé dans ce domaine et a adapté plus d’une vingtaine de pièces de théâtre, des dizaines de poèmes et nouvelles, cf. Chemakh (2006) pour un inventaire détaillé. Concernant le cas Mohia, S. Chaker (2004) notait : ‘dans cette dynamique de traduction littéraire, Muhend u Yehya occupe une place à part par son ampleur, sa diversité et sa qualité, sa durée aussi. Son œuvre peut être considérée comme des grandes références fondatrices de la nouvelle littérature kabyle’.

        

 

IV. Qui traduit ? Et de quelle langue ?

 

         Dans son article ‘Traduction en tamazight’, A. Mezdad (2002 : 2) s’est intéressé au statut des traducteurs. Il note qu’ « il s’agit d’amateurs, d’autodidactes militants de la langue tamazight toujours sincères et activistes mais au savoir souvent lacunaire car non professionnels. Ces traducteurs sont généralement issus des filières scientifiques et (techniques (mathématiques, technologie, médecine, économie). Les littéraires ne sont pas concernés par ce domaine, du moins jusqu’à une date très récente ». Cette remarque est assez claire mais limitée aux années 70/2000. Mais si nous tenons compte de l’ensemble des traductions faites vers le  kabyle,  nous pouvons distinguer deux grandes catégories de traducteurs selon leurs formations, parcours et motivations.

Dans une première catégorie qu’on peut appeler  de ‘traducteurs qualifiés’, seront regrouper les linguistes, universitaires et/hommes de lettres ayant la maîtrise parfaite des langues, littératures et civilisations mises en jeu dans l’opération de traduction.

         C’est, sans aucun doute, A. Hanoteau qui est le premier traducteur à mettre dans cette lignée.

         A suite viennent les berbérisants René Basset, B. Bensedira A. Boulifa, J.M. Dallet, J. Lanfry…

         Dans cette catégorie, les universitaires Mohia, A. Mezdad, S. Sadi… occupent une place importante. Même si parmi eux, Mohia reste de loin le traducteur le plus prolifique (plus d’une centaine de textes traduits/adaptés dont une vingtaine de pièces de théâtres), ces universitaires ont, à l’instar des berbérisants qui ont inauguré la voie de la traduction, contribué avec des œuvres importantes.

 

         La seconde catégorie, que l’on peut nommer ‘traducteurs amateurs’, regroupe quant à elle une kyrielle de traducteurs allant du missionnaire religieux à l’instituteur du village. Souvent, ces traducteurs n’ont pas une bonne  maîtrise des langues et cultures mises en jeu dans la traduction.  

 

         Les traductions en kabyle sont essentiellement faites à partir d’une langue source : le français. Rares sont les œuvres traduites de l’arabe ou de l’anglais.

 

V. Appréciations des traductions

 

       Que dire  de la traduction en berbère de Kabylie dans son ensemble ? Plusieurs appréciations et jugements ont jalonné son parcours. Nous tenterons d’évaluer leurs contenus grâce à nos outils d’analyse actuels. Ces derniers sont tirés essentiellement de la traductologie ou science de la traduction.

      Un des premiers jugements sur la traduction vers le kabyle émane de B. Bensedira ( 1887 : IV-V) écrivait qui, dans préface au Cours…  notait que : ‘D’autres morceaux ont été empruntés à la littérature arabe, particulièrement au Mostatref, à Bidpay et aux Mille et une Nuits. L’imitation est évidente… Quelques fables sont d’origine française ; elles ont été sans doute introduites par des jeunes gens qui avaient fréquenté nos établissements… Parmi ces fables, plusieurs sont imités de La Fontaine et de Florian.’

 

      Deux réserves peuvent être émises à ce qu’il considère comme des traductions.

      La première consiste à ne pas trancher nettement et affirmer que tel ou tel conte est une traduction de Kalila, La Fontaine… puisque de nombreux contes font partie d’un fond commun méditerranéen.

      La seconde réserve est qu’il peut s’avérer que c’est le conte berbère qui une version originelle à partir de laquelle un auteur a bâti un récit écrit en grec, latin, arabe et français. Beaucoup d’exemples sont connus des critiques littéraires. N’a-t-on pas découvert une version italienne ayant servie aux Frères Grimm pour la rédaction de leur Blanche Neige ? Le conte kabyle Ttir igenwan ou Asfur Lhawa [= L’oiseau des cieux] n’est-il pas une version ‘moderne’ du conte berbère ayant servi à la rédaction d’Amour et Psyché à l’écrivain africain Apulée ? Affirmer aujourd’hui le contraire revient à reconnaître que les grands-mères kabyles avaient appris le latin depuis le XIXème   siècle ! 

      En traitant de littérature berbère, ni H. Basset dans  Essai sur la littérature des Berbères, Alger, 1920, ni A. Basset, Littérature berbère, dans Histoire des Littératures., Paris, 1955, vol. I, pp. 886-890 n’ont eu le réflexe de s’interroger sur la place de la traduction vers le berbère alors que leurs écrits  abondent en critiques et appréciations envers la littérature traditionnelle.

      Il a fallu attendre les chroniques de L. Galand dans l’Annuaire de l’Afrique du Nord, chroniques par ailleurs sous le titre Langue et littérature berbères : vingt cinq ans d’études, CNRS, Paris, 1979 ; pour voir apparaître des mentions concernant les différentes traductions.

      Dans son entretien avec Tafsut (1981), M. Mammeri n’a même pas insisté sur la traduction comme moyen de promotion et de développement de tamazight, bien qu’il ait cité des moyens pouvant permettre d’avoir des ouvrages écrits en berbère tels que l’Amawal.

      Dans Berbères aujourd’hui, S. Chaker mentionnait les traductions-adaptations comme élément du mouvement de production de l’écrit, qui est, à son tour, élément des permanences du faits berbères en Afrique du Nord.  Mais c’est dans son article  Naissance d’une littérature écrite… que nous avons les premières appréciations des œuvres traduites en kabyle.

 

      Peu de traducteurs se sont interrogés sur les œuvres traduites et sur la traduction. L’extrait de l’Histoire des Almohades traduit par M. Redjala est précédé de notes et remarques concernant la traduction. Outre une longue introduction à sa traduction du Coran, K. Nait Zerrad a fait suivre cette dernière d’un glossaire des termes et néologismes utilisés. A. Mezdad a consacré un article à la traduction (2002/b) où sa propre expérience est confrontée à certaines données de la traductologie.

 

VI. Critiques :

 

Plusieurs critiques peuvent être émises à l’encontre des traductions vers le kabyle.

 

1.

Les traducteurs vers le kabyle ne mentionnent pas souvent, pour ne pas dire jamais que certaines de leurs traductions sont en fait faites à partir d’autres traductions ! Est-ce par oubli ou par crainte qu’on leur reproche de ne fournir que des traductions de seconde main ?  Pourtant, ces éléments sont très importants pour l’analyse des traductions finales, en tenant compte des écarts de la première traduction par rapport au texte originel. F. Abache a mentionné qu’il a traduit Nnbi [=le Prophète] de Gibran K. à partir de l’édition française Castermann (Paris), le texte originel étant écrit en anglais. Mais combien ont eu ce réflexe.  M. Ait Ighil ne mentionne pas que c’est à partir d’une traduction française parmi tant d’autres qu’il a traduit Tchekov. Mohia, non plus, n’a jamais mentionné sur quelles traductions il s’est appuyé pour traduire Lu Xun, Mrozeck, Pirandello, Platon, Erdmann…

Peu de traducteurs font l’effort de recourir à la version originale, soit parce que cette dernière n’est pas disponible ou parce qu’il ne maîtrise pas la langue dans laquelle c’était écrit. Un des rares à faire cet effort reste Majid Hadj-Said, anglicisant de formation, il a préféré utiliser la version anglaise de Romeo and Juliet  que la version française.

 

2.

A chaque fois qu’une critique est émise à l’encontre de traductions, A. Mezdad (2002/b) est allé jusqu’à en qualifier une de ‘charabia incompréhensible’ et ‘traduction dénuée de sens’, c’est la levée des boucliers du côté des traducteurs qui vont jusqu’à dire qu’il est hors de question qu’on touche à ‘leurs’ livres (lapsus révélateur de la volonté d’appropriation de l’œuvre et de la négation même de l’auteur). Or, une traduction quelque elle soit devient un bien marchand dès qu’elle est publiée sous n’importe quelle forme, elle ne peut échapper à la critique. Les traducteurs kabyles feraient mieux de se documenter et de s’imprégner des diverses recherches menées de par le monde sur la traduction. Se réfugier derrière des formules du type Tradutorre… Traditore (=le traducteur est un traître) ou les traductions sont de ‘belles infidèles’, une reprise du terme de G. Mounin ne résoudra aucunement les problèmes théoriques et pratiques auxquels est confronté tout traducteur.

3.

La publication des traductions est souvent tardive. Certes, cela peut s’expliquer par la politique éditoriale en vigueur en Algérie jusqu’aux années 90. Politique qui ne tolère pas la publication d’ouvrages en berbère. Elle s’explique aussi par le manque de moyens de diffusion (revues…) de ces traductions. L’organisation d’un recensement des traductions même manuscrites et partielles aurait évité bien des désagréments. A titre d’exemple, chacun se réclame d’avoir été le premier traducteur de  Ussan di tmurt [=Jours de Kabylie] de Mouloud Féraoun. Ferhat Mehenni a, certes, été le premier à publier des extraits dans la revue Tafsut, 8 à 10 (1984/85). Mais lorsque Kamal Bouamara publie une traduction intégrale de cet ouvrage avec le concours du HCA en 1997, Yidir Ait Amrane entame la publication de ce qu’il appelle sa traduction.

4.

De nombreuses traductions ne sont pas soumises ne serait-ce qu’à lecture de spécialistes en langue berbère avant leur publication. Ce qui fait qu’à chaque fois qu’une traduction est mise sur le marché, on re-découvre les mêmes ‘erreurs’ (et parfois les mêmes horreurs !) que les spécialistes préconisent d’éviter. Ces dernières sont : le calque linguistique, le recours systématique à l’Amawal n tmazight tatrart, le nettoyage puriste de la langue cible des emprunts à l’arabe, les créations néologiques in vitro, les nombreuses pertes de sens,  les suppressions des passages jugés intraduisibles…

5.

De nombreuses traductions parmi celles inventoriées demeurent jusqu’à ce jour sous de K7 audio et/ou vidéo, d’enregistrements radiophoniques ou publiés à faible tirage ou ayant cessé de paraître. Elles sont alors, inaccessibles au grand public et même au public spécialisé. Là, le critique se retrouve devant un écueil : les appréciations qu’il peut émettre risquent de rester sans échos bien qu’elles soient objectives ou, aussi,  de passer pour des vérités ‘absolues’ même si elles sont totalement subjectives. Si ses lecteurs n’ont accès au texte traduit, ils ne pourront ni partager les appréciations du critique ni corroborer ses propos.

 

 

Conclusions et propositions.

 

         Plusieurs conclusions importantes peuvent être tirées au terme d’un état des lieux tel celui que nous venons de faire mais deux d’entre elles nous semblent les plus pertinentes :

         La première concerne l’apport de la traduction à la littérature kabyle. La traduction a réellement été le facteur moteur déterminant dans l’émergence de nouveau genres caractéristiques de la néo-littérature : roman[5], nouvelle, théâtre moderne et même la nouvelle poésie. Ce renouveau des genres s’est accompagné de l’apparition de thèmes jusqu’à non-formulés dans la littérature traditionnelle.

         La seconde concerne l’apport de la traduction sur le plan symbolique : le dire étranger n’est plus totalement autre dès lors qu’il passe à travers le support linguistique auquel s’identifie le groupe. De même qu’une langue pouvant être le véhicule d’œuvres littéraires internationales voit son statut rehaussé  car elle n’est plus le véhicule de la pensée d’un groupe linguistique et culturel uniquement mais un canal de la diffusion de valeurs universelles. Dans le cas du kabyle, la traduction a permis la réaffirmation de la vivacité de langue et son développement alors qu’elle était minorée, niée et même exclue des appareils idéologiques d’Etat pendant de nombreuses années.

        

         Pour ce qui est des propositions, nous pensons à :

 

-    La création d’un bulletin (et pourquoi pas un site Internet) consacré uniquement au recensement, à la critique et à la diffusion des œuvres traduites en berbère.

-    L’organisation de séminaires de formation en théorie de la traduction avec applications pratiques destinés aux traducteurs- amateurs et aux futurs traducteurs.

-    L’introduction de tamazight comme langue de traduction (de et vers tamazight) et donc comme modules (ou unités de valeur) dans les différents instituts de langue et culture amazighes et aussi dans les différents instituts de Traduction et Interprétariat, tant en Algérie qu’au Maroc.

 

Bibliographie :

 

         [Les ouvrages théoriques ainsi que les divers textes disponibles sur les sites Internet relatifs à la traduction, les théories de la traduction et la traductologie ne sont pas mentionnés].

 

AMEZIANE A. 2005, Les formes littéraires traditionnelles dans les romans de Mezdad ou l’oralité au service de l’écriture, in Actes du colloque sur la littérature amazighe, Ircam, Rabat.  

AMEZIANE A. [2006], La néo-littérature kabyle et ses rapports à la littérature traditionnelle, in Etudes Littéraires Africaines, Karthala.

BENSEDIRA B. 1887, Cours de langue kabyle, A. Jourdan, Alger.

BOUGCHICHE B., 1997, Langues et littératures berbères des origines à nos jours. Bibliographie internationale,  Ibis-Press, Paris

CHAKER S., 1989, Berbères aujourd’hui, L’Harmattan, Paris.

CHAKER S., 1992,   Naissance d’une littérature écrite : le cas berbère (kabyle), Bulletin d’Etudes africaines 17/18 pp.7-21, Inalco, Paris.

CHAKER S., 2004 [version augmentée de l’article précédent, publiée sur le site www.tamazgha.fr en décembre 2004]. 

CHEMAKH S. 1998, Enseignement de tamazight, données introductives, Anadi 3/4, pp.97-111, SCLCA,  Tizi-Ouzou.

CHEMAKH S. 2006, D’une langue à l’autre ou l’œuvre de Mohia, in Tifin 2, Ibis-Press, Paris.

HANOTEAU A. 1858, Essai de grammaire kabyle, A. Jourdan, Alger.

JOUHADI Houssin (Al-Baemrãni), 2003, [titre en arabe], Taôjamat maeãni al-Qur’ãn al-karím, bi lluɣa al-amãzíɣeyya, 428 p., Imprimerie a-Najah, Casablanca.

KHELIL S. & CHEMAKH S., 1989, Développement de tamazight à travers le mouvement associatif, Tafsut 13, pp.81-89, Tizi-Ouzou.

MAMMERI M., 1981, [Tadiwennit akd -…], Tafsut, 2, Tizi-Ouzou.

MEZDAD A. 2002/a, Expérience d’écriture dans le roman berbère, Ayamun 10, Bgayet.

MEZDAD A. 2002/b, Traduction en tamazight, Ayamun 11, Bgayet.

NAIT ZERRAD K. 1993, Un essai de traduction du Coran en berbère. Etudes et Documents Berbères, 10, p.241-246.

NAIT ZERRAD, 1998,. Lexique religieux berbère et néologie. Essai de traduction partielle du Coran. Centri Studi Camito-Semitici, Milan.

REDJALA M., 1978, Traduction partielle en kabyle de l'Histoire des Almohades d'Al-Baydaq,
Littérature Orale Arabo-Berbère. 8,  p. 81-108.

 

Sites Internet :

 

La Cyberevue Ayamun est disponible sur le site : www.ayamun.com.

Les sites www.imyura.com, www.kabyle.com et www.tamazight.fr présentent certaines traductions parmi les textes en berbère qui y sont disponibles.

Le site www.tamazgha.fr   présentent de nombreux documents traitant de la littérature berbère où la question de la traduction est abordée.

 

 

 

 



[1] M. L. Bougchiche fournit dans sa Bibliographie… sous l’entrée 8083 ; une traduction de la Bible (Evangile selon St Luc) intitulée :  Écriture sainte : extrait d'une trad. manuscrite en langue berbère de quelques parties de l'Ecriture sainte, contenant 13 chap.de St Luc.-London : R. Watts, 1833.- 56 p.

La mention 1833, année de la publication, reste problématique. Au fait, qui était l’auteur de la traduction ? Vers quel dialecte berbère la traduction est faite ? Comment ? Avec quels supports (dictionnaires, grammaires), ceux-ci étant peu disponibles ?… A moins qu’il ne s’agisse d’une ‘erreur’ de datation ou de frappe, il est peu plausible qu’une telle traduction vers le berbère de Kabylie ait existé à cette époque. Les seules traductions d’extraits de la Bible connues avant 1858 sont celles de F.W. Newman (1846) et J. Richardson (1847) vers le berbère de Ghadames.

 

[2] Parmi ces écrivains ayant reçu le prix Nobel et traduits en kabyle, nous pouvons citer : L. Pirandello (1934), P. Buck (1938), A. Gide (1947), A. Camus (1958), J. P. Sartre (1964, prix refusé), S. Beckett (1969). Mentionnons aussi qu’un texte de R. Kipling (Prix Nobel, 1907) est traduit en kabyle. 

[3] Cette liste n’est pas complète : de nombreuses chansons de G. Brassens sont traduites par Ameziane Kezzar ne figurent pas dans cette liste pour de nombreuses raisons (indisponibilité des textes...). De même, les extraits des nouvelles de P. Mérimée, des romans de M. Mammeri… traduits par Achour Ramdane, figurant dans les manuels officiels de Tamazight (Education Nationale Algérienne), ne sont pas tous recensés.

 

[4] Il est, certes, difficile, d’affirmer que le texte berbère disponible est une traduction du français si la version française n’est pas disponible. Mais l’analyse textuelle de ces versions berbères  montre qu’une version française ait servi pour la structuration du texte en berbère. Les nombreux emprunts, calques et usages excessifs de l’Amawal trahissent l’existence d’une version en langue française ayant servi de support.

 

[5] Nous estimons, par ailleurs,  que le premier ‘roman’ kabyle est l’œuvre de Bélaid Ait Ali (1909-1950). Il s’agit de Lwali n wedrar [=Le saint homme de la montagne] publié en 1964 Par J. M. Dallet & J. L. Degezelle in Les Cahiers de Bélaid ou la Kabylie d’antan. Notre propos concerne donc les romans publiés  à partir de 1981 dont Asfel de R. Aliche.


31/05/2017
0 Poster un commentaire

L A N G U E B E R B E R E. LA STANDARDISATION DU KABYLE

L A N G U E B E R B E R E.

LA STANDARDISATION DU KABYLE

[Communication au Colloque sur l’aménagement linguistique, Tizi-Ouzou, Avril 2000 ]

 

 

                                                                                                     Par Saïd CHEMAKH (*)

 

A propos de la standardisation.

Toute extension de l'usage d'une langue dans des domaines où elle n'était pas/ ou n'est plus usitée pousse à la réflexion sur les choix à opérer dans la multitude de possibilités d'expression qu'offre cette langue. Lorsque les ressources de l'expression sont très diverses du fait de l'existence de plusieurs variétés dialectales/ régionales, sociales... du fait de l'existence de plusieurs niveaux de langue, de la richesse lexicale et stylistique de la langue et parfois du fait de l'existence de plusieurs langues en contact rend le choix problématique.

Le choix d'une variété linguistique qui aura pour fonction de servir d'outil de communication dans ces domaines vers lesquelles il y a extension de l'usage se fait suivants des critères consciemment ou inconsciemment admis par les acteurs responsables de ce choix. C'est ainsi que débute ce l'on définira plus tard comme la planification linguistique.

Pour R. Fasold(1) " C'est l'existence de choix qui rend la planification possible " et R. Baylon de préciser que " Ces choix existent à tous les niveaux de l'usage de la langue, mai stous les niveaux ne sont pas susceptibles d'être les objets de la planification linguistique. Généralement celle-ci s'intéresse aux usages officiels, publics de la langue et non pas à la communication quotidienne informelle, où les choix sont laissés aux facteurs de nature socio psychologique qui régissent la situation ".

Une planification linguistique est, selon C. Baylon (1996:178), "un effort explicite et systématique pour résoudre des problèmes linguistiques et parvenir à la réalisation concrète des solutions trouvées grâce à l'appui d'institutions". Selon lui, H.Kloss (2) a regroupé les divers buts de cette planification "en deux catégories, selon qu'ils relèvent de la planification de la codification de la langue, l'aménagement de la langue elle-même, language corpus planning- ou de la planification orientée en fonction de leur statut- l'intervention vise le statut de la langue, language status planning".

En partant de cette définition, E.Haugen (3) propose un tableau où il distingue entre la forme et la fonction de toute planification linguistique. Normalement, toute politique linguistique reste essentiellement du ressort de l'Etat, de l'Institution.

Dans le domaine berbère, des embryons d'une planification de corpus sont mis en place depuis quelques années. S.Chaker (1984:35) souligne que ce mouvement "Sur un plan technique,(...) se traduit par : - Une tendance au passage à l'écrit et pose problèmes très complexe de l'adoption d'une notation "usuelle". - Une volonté d'adaptation au besoin de la communication moderne qui soulève la question de l'enrichissement lexical (et même d'une certaine adaptation syntaxique). - Une volonté de standardisation,uniformisation, en particulier du code écrit."

S.Chaker(1989:133) note que cette planification se fait en dehors de l'institution mais"[qu'] à travers les initiatives concrètes, le travail linguistique réalisé par ce que j'ai appelé ``la mouvance ou nébuleuse berbère'', se constitue petit à petit un espace culturel berbère transnational et autonome qui peut pallier la défaillance de l'Institution". L'une des parties les plus problématiques de la planification interne est la standardisation du lexique. Cette dernière se fait, comme pour la plupart des langues du mondemoderne, par diverses activités et choix : élévation d'un dialecte au rang delangue standard, standardisation autour d'un dialecte ayant les plus hautesproportions de mots apparentés avec d'autres dialectes (cas du toro-so pour lalangue dogon)(4), recours à l'emprunt aux langues vivantes ; néologie... Maistoute standardisation passe par le choix d'une norme ou plutôt d'un type denormes parmi les cinq types de normes recensées jusque-là dans les travaux desociolinguistique. Le choixd'une norme peut se faire aisément pour ce qui est des domaines phonologiqueset morpho-syntaxique du fait qu'il consiste à la sélection d'une variété pardes critères déterminés dans deux champs fermés. Le choix d'une norme dansle lexique est plus ardu carcontrairement aux deux premiers domaines linguistiques, le lexique est un champouvert, en perpétuelle évolution. Nous avons choisi de réfléchir sur les moyens théoriques et les modalités pratiques d'une réalisation d'un lexique standard pour le kabyle.

Déjà, dans notre travail de recherche de DEA (5), nous nous somme penchés sur le lexique et vocabulaire enseignée. L'étude statistique a montré l'etendue et lavariation du nombre d'éléments lexicaux. Une brève analyse lexicologique amontré la grande variété du lexique enseigné dans les manuels. Nous avons proposé alors l'élaboration d'un vocabulaire fondamental pour le kabyle. Cette dernière est une des tâches que nous pouvons considérer comme conséquence de la standardisation du dialecte kabyle.

Pourquoi une standardisation du kabyle ?

La raison fondamentale qui a donc motivé cette recherche était justement la difficulté que posera l'enseignement du lexique du berbère (kabyle) que ce soit pour les berbérophones où encore pour les non-berbérophones si nous ne disposons par d'outil tel que le vocabulaire fondamental. Voilà près d'un siècle que les premières méthodes d'enseignement du berbère de Kabylie ont été publiées.Celles-ci étaient l'oeuvre de linguistes français tels René Basset, ou cellesd'enseignants normaliens autochtones tels Boulifa ou Bensedira. Pendant toutecette période, les études linguistiques se sont renouvelées et d'autresméthodes ont vu le jour, et ce jusqu'à la publication de la méthodeaudio-visuelle Tizi Wwuccen. L'analyse du manuel Lmed Tamazight publié en 1997 par le Ministère de l'Education nationale algérienne a démontré que le problème du choix du lexique à enseigner se pose toujours. Or, dans le domaine de la didactique des langues (maternelles ou étrangères) de nombreuses perspectives se sontd essinées depuis une trentaine d'années surtout avec l'apport de sciences telles la linguistique, la psychologie, les statistiques. En vue de l’enseignement duberbère, il est nécessaire d’élaborer des méthodes qui tiennent compte desrésultats théoriques de celle-ci. Des résultats satisfaisants ayant été obtenus par l’application des données de cette discipline pour les langues européennes (officielles ou minoritaires). Il convient de voir dans quelle mesure nous pourrons exploiter ces instruments pour l'enseignement du berbère. Parmi ceux-ci : la sélection duvocabulaire destiné à l’enseignement. Cette voix était déjà expérimentée parl'équipe qui a élaboré le français fondamental, par exemple. Pour permettre un enseignement rapide et efficace du français et suite à la demande de l'Education Nationale, l'équipe dite du Credif (6) a été amenée à utiliser des méthodes statistiques pour trier et sélectionner un vocabulaire pouvant faire l'objet du premier apprentissage : le français fondamental. Ce dernier a, d’ailleurs, servi de modèle pour l’élaboration de vocabulaires fondamentaux pour les langues européennes.

Déjà en 1968,la première conclusion et recommandation de la Coopération Culturelle du Conseil de l'Europe en matière de recherche est ainsi formulée : " - Des recherches sont nécessaires dans le domaine du vocabulaire et des structures des langues européennes, sur le modèle de celles déjà entreprises pour le français... ».(7) Pourquoi nepas doter le berbère d'un outil didactique ayant des bases objectives et ayantdémontré son efficacité? Surtout lorsqu'on sait l'urgence qui s'est fait ressentir depuis des années.

Déjà, H. Hireche (1980:11) note que " le seul préalable [à l'enseignement], qui soit de l'ordre du réalisable est que la base du travail soit un vocabulaire commun à tous les professeurs, quitte à ce que chacun ajoute ou supprime, en fonction des situations, quelques mots".

Même si les problèmes de prise en charge matérielle de ces travaux peuvent se poser, ils restent du domaine du réalisable. S.Chaker (1988 : 133)affirmait que : " le berbère fondamental peut être élaboré, cette action de standardisation convergente des dialectes peut être conduite en dehors d'une institution normalisatrice".

Cette standardisation devrait donc être l'oeuvre des berbérisants. D'ailleurs S.Chaker (1999:159) affirmera "Dans les années à venir, les berbérisants seront de plus en plus amenés à se pencher sur le problème d'aménagement linguistique, notamment de standardisation de la langue, et à y apporter leurs solutions."

Tout en insistant pour que la standardisation convergente commence, avant tout, par l'élaboration des standards dialectaux. Nous avonspensé contribuer à cette standardisation du berbère en travaillant sur lelexique pouvoir tirer le vocabulaire fondamental d'un dialecte : le kabyle à partir du standard kabyle. Nous pensons pouvoir atteindre deux objectifs essentiels :

1- Montrer comment on peut réaliser un standard dialectal et qui sera une première expérience dans le processus de normalisation convergente.

2- Mettre à la disposition des praticiens, auteurs de manuels...un outil pratique pouvant servir à la confection de meilleurs outils pédagogiques aptes à rependre aux exigences de la didactique moderne où la sélection objective du lexique facilite l’apprentissage et augmente la vitesse d'acquisition du code linguistique.

Comment standardiser le kabyle ?

Pour réaliser ces objectifs, la démarche suivante peut être adoptée.

Dans un premier temps, il est nécessaire d'éclaircir certains concepts en usage en sociolinguistique en examinant le corpus théorique relatif à l'aménagement et à la standardisation linguistique. Puis il y a lieu d'examiner la problématique de l'élaboration de vocabulaires fondamentaux de façon général en tenant compte des données sociolinguistiques des langues pour lesquelles ces vocabulaires sont élaborés, exemple : français et anglais (langues dominantes), catalan (langue minorée)...

Dans un second temps, il faut examiner les différents facteurs qui militent pour en faveur de l'aménagement du berbère. Puis, il faut revenir sur les embryonsd'aménagement entamés jusque-là. Après cela,il faut se pencher sur l'examen du contenu et des limites des thèses sur l'aménagement du berbère. Viendra ensuite la présentation des résultats de la statistique lexicale faite sur les textes sélectionnés ainsi qu'une analyse détaillée du vocabulaire à haute fréquence en tenant compte des critères de pan-berbérité, d'extension géographique des formes dans le dialecte, de la clarté et de la régularité morpho-syntaxique.

En dernier lieu, il s'agira de formuler l'utilisation concrète de ce vocabulaire fondamental du kabyle.

 

 

Notes:

1-R. Fasold, 1984, The Sociolinguistics of Society, Blackwell.

2-H. Kloss, 1969, Research Possibilities onGroup Bilinguism : a Reporter, Québec.

3- pour le tableau d'Einar Haugen, voir J. Maurais(édit.), 1987, Politique et Aménagementl linguistiques, p.9.

4- Voir G. Galtier, La standardisation de la langue dogon, in Bulletin d'Etudes Africaines n°19-20, pp. 197-220. Inalco, Paris.  

5- Cf. Mémoire de Dea : Lexicologie berbère, Contibution au berbèrefondamental (kabyle) soutenu le 02/07/1996 à l'Inalco et publié en partiedans : - Tifinagh n°11-12.(1998),Contribution au berbère fondamental. Rabat.

- Anadi n°3-4. (1999),Enseignement de Tamazight. Donnéesintroductives. Tizi-Ouzou.

6- Cf. G. Gougenheim, R. Michéa, P. Rivenc, A. Sauvageot, L'Elaboration du français fondamental (1°degré), Didier, Paris, 1964.

7- Cf. Conseil de la Coopération Culturelle du Conseil de l'Europe, Les langue vivantes et le monde moderne, Aidela, 1968.

Bibliographie :

C. Baylon, 1996, Sociolinguistique,(2° éd.), Paris, Nathan.

S.Chaker, 1984, Textes en linguistique berbère, Paris, CNRS.

S. Chaker, 1999, Berbères aujourd'hui,(2° éd.), Paris, l'Harmattan.

H. Hireche, Bilan de l'enseignement en berbère, Tisuraf n°6, [pp.2-13], Paris, Imedyazen, 1980.

 

 

                                           (*) Chercheur en linguistique berbère, Crb/Inalco, Paris [2000].

                                                   Enseignant de berbère,Association Azul, Créteil.


20/07/2014
1 Poster un commentaire

L’ETHNOCIDE TOUAREG CONTINUERA-T-IL ? (I) (Juillet 1991).

 

 

L’ETHNOCIDE TOUAREG CONTINUERA-T-IL ?

 

(Juillet 1991).

 Par Said Chemakh

 

 

C'est dans la matinée du 8 avril 1991 que nous sommes arrivés l'aéroport de Tamanrasset. Notre mission s'est constituée à Tizi-Ouzou vers fin du mois de mars1  lors de la semaine culturelle organisée par l'association "IDLES" et l'association targuie "Serhu n Kel Tamacheq" à Tizi-Ouzou. Elle avait pour but la connaissant du drame des Touareg réfugiés le long des frontières algériennes après les événements que vient de connaître le Nord du Mali et du Niger depuis l'été 1990 2.

Avant de décrire la "révoltante" vie que mènent ces "Kurdes d'Afrique du Nord", il conviendrait de rappeler les connaissances générales déjà acquises sur ces "Imazighen du Sahara" que la littérature écrite des auteurs en mal d'exotisme présente sous le nom des "Hommes bleus" ou de "Seigneurs du désert"...

Des   conceptions   muséographiques   et   folkloriques développées à travers les "guides" des agences touristiques soutenues par la presse des différents Etats Nations où se trouve écartelé le peuple touareg qui traverse une phase décisive de son histoire. Et les choix ne sont pas nombreux :

- soit les Touareg acceptent l'assimilation pure et simple proposée par les différents Etats riverains du Sahara ;

- soit parvenir à s'organiser rapidement et résister à l'éthnicide perpétré par ces mêmes Etats et prendre sa destinée en main...

Toutefois, avant d'entamer le vif du sujet, faisons une incursion dans l'Histoire des Touareg.

 

A l’origine, il y avait…

 

Si les sources historiques ne fournissent pas des données très précises sur l'origine des Touareg du Sahara, il est cependant possible de passer en revue les résultats de l'anthropologie et les mentions collectées à travers la tradition orale targuie.

L’étude des gravures rupestres et des tumulus appelés "idebnan" (singulier adebni) permet d'avoir une image assez de la vie au Sahara à l'époque préhistorique. Les travaux menés voilà plus demi-siècle  concernant  cette période ont abouti schématiquement aux résultats suivants : durant la période paléolithique qui a duré de -60 000 à -50 000 ans, la bordure de massif du Hoggar était recouverte de forêts et de grands lacs, mais aucun squelette ne permet d'imaginer l'homme primitif qui y vivait.

Une catastrophe climatique change l’aspect du Sahara après 400 000 ans.

Après que la désertification ait pris fin et qu'une grande pluviométrie ait repris vers -10 000, l'homme réapparut dans le Sahara central. C'était un négroïde qui a sans doute connu l'invasion d'hommes blancs venus du Nord à cheval. Ces derniers furent les auteurs des gravures rupestres et des inscriptions libyco-berbères. Vers  20 000, le climat évolua vers un type désertique. Cette évolution s'est poursuivie pour atteindre le stade actuel. De l'industrie de poteries connue durant le néolithique, les populations sahariennes composées de pasteurs passèrent à l'industrie de pièces de bronze et de fer. C'est peut-être à cette période (-1000 à -800) que les chars des Garamantes4  furent utilisés pour la traversée du Sahara vers le Nil 5.

Revenons aux sources égyptiennes. Celles-ci signalent qu'un peuple nomade, ayant habité l'Ouest de l'Egypte, connu sous le nom de Lebou, et qui était combattu par les pharaons lors de leurs tentatives d'invasion des terres du Nil. Pendant le Bas Empire, deux dynasties (la XXIIe et la XXIIIe) étaient d’origine libyenne. Toutefois, c'est l'historien grec Hérodote qui citera les noms des tribus composant ce peuple : les Garamantes, les Maxyes... Noms qui seront par la suite rapportés par les sources latines. Ces données linguistiques et anthropologiques convergent vers une thèse : les Lebous sont les ancêtres des Touareg.

Revenons  aux sources arabes du Moyen Age6, c’est bien Ibn Hawqal qui nous livre les premières informations sur du "Berbères du Sahara Central" et du ‘Soudan", après un voyage au Niger 961 à 977. De même, El Bekri évoque ces peuples sahariens vers 1067 alors qu'El Idrissi rapporte des informations seconde main (1154). Il fallait attendre le XIVe siècle,-  pour  qu'Ibn Battuta décrive le Niger et ses habitants, et qu'lbn Khaldoun   (1332-1406)   écrive   son "Histoire des Berbères"-  pour avoir d'excellents renseignements : « ... Les Senhadja du  désert étaient  aie composés de plusieurs groupes : les Lemtas, les Lemtunas, les Messufa, les Godala et les Howwara, ces derniers auraient donné leur nom au massif Hoggar » (Ihewwaren Iheggaren). Le nom de ces populations voilées (mulathim pouvait être rapproché de "Kel Tamoust" de la tradition targuie. Les Touareg auraient alors fondé les villes de Essouk (Niger) et Tombouctou (Mali). Certains nomades, dans le Sud marocain, ont fondé le mouvement almoravide sous la direction des Lemtunas.

Si les liens entretenus entre les Berbères du Nord et les Touareg ont commencé
à se rompre avec l'apparition des Zénètes nomadisant dans les steppes nord-africaines, ces liens le furent définitivement après l'arrivée des tribus nomades arabes (Hillaliens, Riyah...) chassées d'Egypte par les Fatimides pour punir les royaumes berbéro-musulmans des Zirides, des Hammadites qui s'étaient proclamés indépendants par rapport au Caire.

L'Histoire des Touareg se tourna alors au Sud, vers le pays du Soudan. Du XIIe au XIVe siècle, les Touareg nomadisant dans le Sud se heurtaient aux Songhay. Ces derniers, sédentaires et organisés en royaume, occupèrent alors Gao7 et Tombouctou, et tentèrent même de pénétrer dans l'Adrar des Ifoghas et dans l'Aïr. Au XVIe  siècle, les Touareg furent utilisés dans l'armée Songhay luttant contre l'expansion  des  rois  marocains, Moulay Mohammed et son frère Abou Abbas Ahmed. Ce dernier, ayant vaincu les Songhay, occupa Gao en 1591. Les chefs de l'armée marocaine, installés à Tombouctou et Gao, se proclamèrent  indépendants en 1620. Par une politique  d'alliances, ils furent intégrés dans société targuie ; c'est après cette période que les Touareg organisèrent leur espace, en fonction des confédérations qui demeureront jusqu'au XXe siècle.

Au début du XIXe siècle, les Peulhs Macina se battirent contre les Touaregs et occupèrent Tombouctou en 1826. Puis les Kounta entamèrent une lutte contre Touareg et Peulhs. Ces derniers, à leur tour, furent battus par les Toucouleurs 1863, qui avaient déjà combattu les Français occupant le Sénégal. Les Toucouleurs voulurent occuper le fleuve Niger, mais déjà les troupes français remontaient vers le Nord du Sahel.

Avant d'entamer l'Histoire de la domination française du pays Touareg,
convient d'étudier la société targuie telle qu'elle fut connue à la fin du XIXe siècle.

 

La société targuie :

Les Touareg se désignent eux-mêmes par le terme de "Kel-Tamacheq" (ceux qui parlent le tamacheq) ; ce terme dont la racine berbère est MH£ varie dans parlers touareg en MC£ (Mali), MJ£ (Niger) et MZ£ (Algérie). Sur les Kel Tamacheq, de nombreux travaux recherche ont été entrepris et analysés dans les "Etudes Touarègues" 8.

L'organisation traditionnelle de cette société est une grande échelle horizontale sur laquelle repose une pyramide dans laquelle se structurent : tribus nobles, castes ou tribus agrégées a tribus nobles, et esclaves - ceci en aile de haut en bas.

Avant de présenter l'organisation de façon explicite, il faudrait signaler ce que rapporte  la  tradition  orale  targuie concernant leur origine :

"... Avant l'arrivée des Touareg au Hoggar, une population dite "Issabaten" y
habitait... A un temps très récent, deux femmes du Tafilalt (Sud marocain) entreprirent la traversée du désert : ce sont Tin Hinan, une noble, et Takama, sa servante. Elles marchèrent beaucoup à travers le Sahara. Lorsque leurs provisions de dattes furent épuisées, Takama découvrit des grains emmagasinés sous terre par des termites. Ces grains leur servirent de nourriture jusqu'à leur arrivée à Abalessa où elles s'installèrent. Tin Hinan donna naissance à une fille, Kella, de laquelle descend la tribu noble des Kel Rela, tandis que Takama enfanta deux filles : ancêtres des Dag Rali et Aït-Loayen, tribus vassales des Kel Rela. C'est ainsi que commence l'Histoire des Kel Ahaggar..."

Le tombeau et le squelette de Tin Hinan furent découverts en 1925 à Abalessa. Selon les travaux de Gabriel Camps3, Tin Hinan aurait vécu vers 440 après J.-C. Le récit de Tin Hinan fut romancé par Pierre Benoît qui fit de l'ancêtre des Touareg la reine blanche d'un continent disparu : l'Atlantide.

Ces éléments de la tradition orale nous renvoient à l'ancienneté de l'organisation sociale targuie, qui ne ressemble guère à la société féodale du Moyen-Age européen. Pour clarifier ces propos, il conviendrait de présenter chaque groupe ou tribu de l'organisation et les rapports qu'il entretient dans la structure.

a- Les nobles  ou Iheggaren, Ce sont les détenteurs du pouvoir politique et économique. Ils sont les détenteurs des pâturages. C'est parmi eux qu'est choisi le chef politique : amenokal.

b- Les vassaux ou Imghad. Ce sont les tribus "adoptées" par la tribu noble. Elles restent périphériques au pouvoir de commandement gêner de la tribu. Contrairement aux tribus nobles, les Imghad ne participent pas ai guerres (exception faite pendant l'occupation française). Les Imghad payaient un tribut aux nobles.

c- Les forgerons ou Inaden. Ce sont des groupes spécialisés, de familles restreintes d'artisans ou d'ouvriers polyvalents. Ce sont essentiellement des forgerons dont les femmes travaillent le cuir. Ils jouissent de la liben de travailler, de se déplacer...

d- Les religieux ou Ineslemen. Ce sont des tribus religieuses jouissant d'attributions sacrées. Les Inselemen s'occupent uniquement de la gestion d culte et sont consultés par l'amenokal.

e- Les esclaves ou Iklan. Ils sont issus des razzias et de nombreuses guerres ayant opposé le Touareg aux autres ethnies noires africaines, ou achetés des marchés d'esclaves de Gao, de Hombori au XVIIe siècle. La société targuie les a intégré comme bergers ou domestiques.

 

Etant de nature matrilinéaire, la société targuie accorde une place importante à la femme. Jouissant de cette liberté, la  femme targuie, tout en s'occupant de l'éducation des enfants, est consultée par son mari dans les décisions à prendre. De même, se consacrant essentiellement à la culture et à la tradition, elle en est la  représentante : ce qui lui confère le rôle d'enseignante de l'Histoire et de la langue tamacheq.

 

La société targuie a un système économique reposant essentiellement sur l'élevage extensif vu le nomadisme de; populations. Cet élevage permet de répartir les risques et de s'adapter à de nouvelles   situations   (sécheresses...).

Pour se faire, les Touareg ont eu à élaborer une stratégie consistant à :

- Se déplacer judicieusement de façon empêcher les surpâturages, et ceci en fonction des saisons ;

- Gérer rigoureusement les troupeau (ventes, abattages...) ;

- Organiser la cueillette et la chasse.

Toutefois, les Touareg sont aussi négociants. C'est ainsi qu'ils mirent au point
un réseau commercial à travers une air géographique immense. En effet, le long des siècles, les Touareg avaient main tenu des échanges entre le Nord de l'Afrique et le Sahel, entre l'Est d Sahara et son Ouest. Certaines confédérations exigeaient des caravaniers de payer un droit de passage sur leur territoire.

Enfin, les Touareg se permettaient d'acheter des terres, de prélever des impôts, de passer des contrats de métayage avec les paysans du Sud sur leurs exploitations.

C'est ainsi que les confédérations targuies vivaient avant le choc colonial du XXe siècle.

La domination française 9

Ayant déjà conquis le Sénégal, les troupes françaises avancèrent vers
Nord du Sahel tandis que d'autres achevaient la conquête des oasis sahariennes. Les premiers contacts entre Touareg et troupes françaises furent diplomatiques : ils eurent lieu à Timasinin (160 km à l'Est de Ouargla). Cheikh Othmane (frère de Hadj Ahmed, amenokal de l'Ahaggar) fit même un voyage à Paris pour connaître la civilisation européenne.

L'armée française fut amenée à s'allier un ennemi traditionnel des Touareg : les Chaâmbas, qui ont toujours convoité territoire touareg de l'Ahaggar ; en 1902 les deux tiers de l'armée françaises étaient représentés par les Chaâmbas.

Le 19 septembre 1904, les Français parachevèrent la jonction Nord-Sud Timiaouine, où furent tracées les premières frontières entre les armées colonialistes du Sud et du Nord. Ces frontières devaient définitivement scinder peuple touareg en cinq pays qui, actuellement, ne sont pas toujours en accord politiquement. Ainsi se trouve ballotté le peuple touareg.

La lutte contre le colonialisme farouche, principalement dans le grand Sud (Azawad) sous le commandement de l'illustre Fehrun Ag Lintisar qui unit pour la première fois tous les Touareg. Prisonnier en 1916, il fut exilé au Sénégal. Libéré en 1919, il reprit la lutte, mais la répression fut féroce (massacres plusieurs milliers de Touareg) suivis de ce qu'on a appelé cyniquement "la Paix coloniale" - très chère aux Français qui consistait à sédentariser les Touareg et leur imposer le mode civilisationnel occidental.

Mais la contestation n'a jamais cessé les révoltes nombreuses (Alla, chef militaire dans l'Adrar des Ifoghas qui déposa jamais les armes, mourut après trente ans de lutte dans une embuscade, il y eut aussi Kawsen dans l'Aïr...).

Progressivement, la lutte prit d'autres formes. Ainsi, faute de ne pouvoir s'opposer par les armes, les Touareg, par la défense passive, opposèrent une véritable force d'inertie en refusant tout contact avec les populations coloniales. Ce repli sur soi leur valut une marginalisation des nouveaux Etats-Nations.

Les mouvements anticolonialistes qui ont eu à négocier les indépendances avec
pays colonisateurs n'ont pas jugé opportun de soulever la question targuie dérangeante pour les Etats-Nations. Les multiples propositions faites par la France en matière d'autonomie furent rejetées par les Touareg.

 

Après la décolonisation :

Après les indépendances des Etats riverains du Sahara en 1960-1962, les Touareg se sentent victimes du tracé des frontières héritées de la colonisation.

Par la simple logique coloniale, les Etats en place étendirent leur souveraineté sur  le territoire saharien où habitaient Touareg, de plus en plus marginalisés. Ainsi naissait un mouvement de contestation armée en 1963 dans l'Adrar des Ifoghas au Mali10.

L'armée malienne réprima férocement soulèvement par des exécutions, mitraillages aériens, empoisonnements des puits, incinérations à l'essence... Ce répression eut lieu sous le pouvoir algérien de Ben Bella qui accorda à l'armée malienne le droit de poursuite en territoire algérien jusqu'à In-Ouzall (à 300 km km de la frontière) : le chef militai touareg, LIadi Ag Alla, fut arrêté par l'armée malienne à Intachara, au Nord de Timiaouine.

En outre, les responsables politiques touareg de l'époque, réfugiés en Algérie furent extradés à Bamako où le régimes de Modibo Keita les emprisonna. La répression fut telle que la cassure entre population touareg et le pouvoir malien fut définitive.

De la résistance à l’ethnocide.

Ayant échoué dans leur tentative guerrière, les Touareg du Mali se retrouvent "prisonniers" dans les 6ème et 7ème régions militaires où l'armée venait de faire sa première Saint Barthélémy. Et les frontières devinrent prisons-mouroirs 9.

Les Touareg virent leur économie décliner et leur mode de vie se détériorer. Un premier coup fut porté à cette économie par la réquisition des chameaux à des fins militaires, ce qui perturba le commerce transaharien. Les Etats maliens et nigériens pratiquèrent la politique de l'abattage massif du cheptel des Touareg

Pire : ces Etats orientèrent le commerce des caravanes vers la côte et le marché européen, et développèrent les cultures de rente au détriment des cultures vivrières. Et le fait de restreindre l'aire de déplacement de ces nomades causa l'effondrement rapide du commerce. Ce qui condamna les Touareg à mourir de faim.

Les grandes sécheresses des années 1972-1973 décimèrent ce qui restait des troupeaux. Des Touareg du Mali et du Niger se réfugièrent en territoire algérien où ils furent bien accueillis en tant que sinistrés économiques. Mais beaucoup d'entre eux furent attirés par la Libye, et c'est dans cet exil forcé dans les grande villes qu'ils découvrirent le salariat.

A cela s'ajouta un exode massif vers la Mauritanie, le Maroc et même l'Arabie Saoudite !

Les aides internationales sollicitées par les autorités politiques du Niger et du Mali furent détournées à Niamey et à Bamako ; le peu qui parvint aux Touareg ne le fut qu'après la mort de milliers de personnes de famine et de maladies.13

Au cours des années 70 le MPA, alors clandestin, se structura dans l'exil et commença à s'armer. Depuis le congrès qu'il tint à Tripoli en septembre 1980, il entama une intense activité.

Une seconde grande sécheresse se produisit en 1984-1986 et poussa les Touareg à l'exaspération : apatrides, humiliés et dépourvus des moindres papiers d'identité, ils commencèrent à harceler les forces militaires. Ainsi en 1985, ils menèrent une attaque contre des bâtiments officiels à Tchin-Tabaraden (Niger). Il semblerait même que plusieurs incidents se soient produits avec les autorités algériennes. Ainsi en 1986, l'Algérie décida d'expulser dix mille Touareg de Tamanrasset (soit un cinquième de ce qu'elle a accueilli lors des sécheresses). Dès la même année, le F.I.D.A.11 s'associa pour la réinsertion de familles touarègues au Mali. De même au Niger, le Président Ali Seybou promit amnistie politique et réinsertion aux Touareg.

Vers avril 1990, près de dix huit mille Touareg rentrèrent de leur exil au Niger. Ils furent cantonnés près de Tchin-Tabaraden. L'aide internationale, estimée à 1,5 milliard de Francs CFA, débloquée en février 1990, tarda à venir. Ce qui poussa un groupe de jeunes Touareg à occuper la sous-préfecture de Tchin-Tabaraden pour attirer l'attention des autorités sur leur situation. Mais la réponse fut autre : l'armée nigérienne, renforcée de parachutistes venus de
Niamey, massacra par la torture, les exécutions, etc., tout ce qui ressemblait à des Touareg.14

Ces événements connurent une autre tournure lorsque le groupe de Touareg précité fut arrêté et emprisonné à Ménaka (Mali). D'autres Touareg réagirent en s'attaquant à la prison de Ménaka vers la fin du mois de juin 1990 afin de délivrer les détenus.

Après des affrontements avec l'armée malienne, une poignée de Touareg s'enfuit dans le désert, pourchassée par l'armée malienne qui instaura l'état d'urgence au Nord du Mali et massacra des populations civiles soupçonnées d'aider "les rebelles". La réaction ne tarda pas à venir car les Touareg, déjà organisés et certains d'entre eux entraînés militairement, se reconstituèrent en force militaire. C'est ainsi que commencèrent les "événements" du Mali de l'été 1990.

En septembre, les chefs d'Etat d'Algérie, Libye, Niger et Mali se réunirent à Djanet
(Algérie) pour discuter de "... la nécessité d'une prise en charge économique de la
région saharienne..."
! C'est à partir de ce moment que la presse algérienne commença à parler des Touareg 15, évoquant les "bandits Touareg qui massacrent les innocents Maliens".16

Les 6 et 7 janvier 1991, les autorités maliennes signèrent un accord tripartite avec les autorités algériennes et le Mouvement  Populaire  de  l'Azawad Tamanrasset. Le MPA est reconnu désormais par le gouvernement Moussa Traoré, qui sera renversé quelques jours plus tard... Voici, en bref le résumé des "événements" qui ont secoué les Touareg depuis avril 1990.

Si l'on s'accorde à dire que les conditions  de vie des Touareg algériens sont moins  difficiles, il faut rappeler que, entre Timiawin et Tin Zawatine, des milliers Touareg demeurent sans papiers d'identité, et que les registres d'état-civil sont bloqués depuis plusieurs années ; c’est dire que ces Touareg sont considérés comme des sous-citoyens. Ils sont généralement accusés d'être "esclavagistes"; c'est d'ailleurs cette haine poussa les militaires noirs (descendants "d'esclaves") à se venger de ces Touareg considérés au Niger et au Mali comme des descendants d'anciens "maîtres" ce propos, Hélène Claudot-Hawad rapelle que "... dans l'Ouest africain aucune ethnie ne peut se vanter ne pas avoir eu d'esclaves..."18 et les Touaregs affirment aussi que même les Bambaras Songhaï, ont autant possédé de captifs que les Touareg aux temps révolus l'esclavage.19

Actuellement, la population touarègue  varie d'un pays à un autre : ainsi Niger, sur une population de six millions sept cent mille habitants, on compte cinquante mille Touareg ; au Mali, huit millions d'habitants dont trois cent mille Touareg ; au Burkina Faso, huit millions quatre cent mille habitants dont trente mille Touareg ; en Libye, sur quatre millions d'habitants il y a cinquante mille Touareg ; tandis qu'en Algérie, sur vingt trois millions d'habitants on dénombre vingt mille Touareg.17

 

Pour conclure…

Le long des siècles, les Touareg ont vécu loin des conflits qui ont touché les autres parties  du  monde.  L'environnement saharien a, certes, constitué une zone-refuge où ce peuple a pu vivre et... survivre.

Toute cette période faste pour les Touareg est actuellement révolue. Ils se  retrouvent héritiers d'une culture et d'une  civilisation plusieurs fois millénaires. Ces  deux héritages n'ont pas une « protection » solide mais restent très fragiles et risquent de disparaître avec leurs derniers possesseurs. La société industrielle et la culture de masse qu'elle sous-tend constitueront une corrosion et une atteinte définitive à "ce que les Touaregs peuvent apporter au XXIe siècle", si Etats riverains du Sahara ne se préoccupent pas de cela dès à présent. L'intégration politique, économique et culturelle reste l'unique instrument pour que ne meurent pas les Touareg.

Même si un véritable ethnocide21 a été mené par les armes et/ou la famine, pendant une trentaine d'années par Etats-Nations,   une   lueur   d'espoir demeure car on n'extermine pas facilement un peuple en silence et impunément.

 

NOTES.

1 - La presse algérienne a délibérément bloqué toute information relative à cette mission. Cf. 'Revue presse'.

2 - Saïd Chemakh, « Touareg réfugiés en danger. Témoignages des victimes de la répression », Libre Algérie n0 14, mai 1991, pp. 23-24.

3 - Gabriel Camps,  Les Berbères, mémoire et identité, Errance, Paris, 1985. Voir les différents   articles   concernant   les   Touareg, in L'Encyclopédie Berbère, Edisud, Aix-en-Provence, 1991.

4 - Garamantes, peuple libyen au temps de l'Egypte pharaonique (Les ruines de Garama existent jusqu’à nos jours).

5 - Henri Lhote, Les Touareg du Hoggar, A. Colin, Paris, 1985.

6 - Rachid Bellil, « Touareg : La Traversée du désert », in L'Avenir, n° 12, nov. 1990, p. 10.

7 - Gao, ville du Mali.

8 - Etudes Touarègues, sous la direction de Salem Chaker, IREMAM, Paris 1989.

9 - Mouloud Lounaouci et Saïd Chemakh, « Touareg au XX" siècle », à paraître, in Libre Algérie.

10 - Rachid Bellil et Cheikh Ag Bey, La révolte l'Adrar des Ifoghas, in Awal n° 2, 1986, CERAM, Paris.

11 - F.I.D.A. : Fond International de Développement Agricole.

12 - Voir essentiellement deux témoignages :

 

a) Mohamed Ansary, « Sous le fil de l'épée » in Ildi 1984-85, Montréal, Canada, repris in L'Avenir, n° 12,nov. 1990, p.13.

b) Tagomast Awki, « Point de vue d'un Touareg écartelé », in Tafsut, série ‘Etudes et débats’ n° 1, déc. 1983, Tizi-Ouzou.

13 – Cf. Le Monde du 6 fév. 1974.

14 - Saïd Chemakh, « Ran Imazighen ar dagh idebnan », (en tamazight) in Amaynut, n° 1, déc. 1990, p. 8.

15 - Rachid Bellil, « Les Touareg vus par la presse algérienne », in Tafsut, série ‘études et débats’, n° 2, avril 1985, Tizi-Ouzou.

16 - Eg. « Qui est derrière la révolte de Touareg ? »; in EI-Watan du13oct.1990.

17 – Cf. Le Monde Diplomatique, juin 1989.

18 - Hélène Claudot-Hawad, Printemps Touareg a Niger, in L'Autre Journal n° 3, juil./août 1990 Paris, pp. 50-51

19 - Nous, Touareg du Mali; brochure de 12 page diffusée en sept. 1990.

20 – « Touareg : des décennies du combat », entretiens avec lyad Ag Ghali, in Libre-Algérie, n°13, avril 1991, pp.12-13.

21 - Hélène Claudot-Hawad 'Une société touarègue écartelée' in "Berbères, une identité en reconstruction" n° 44 de la R.O.M.M., Edisud, Aix 1987.

 

Said Chemakh

 

 


22/05/2013
0 Poster un commentaire

ENSEIGNEMENT DU BERBERE. Données introductives. (in ANADI n° 3/4, Tizi-Ouzou,1999)

ENSEIGNEMENT DU BERBERE. Données introductives.

 

Article publié (in ANADI n° 3/4, Tizi-Ouzou,1999)

par Saïd CHEMAKH

 

  

1-Introduction:

         Cette étude sur l'enseignement du berbère (kabyle) des origines jusqu'à 1995 a été avant tout faite pour cerner l'importance de celui-ci et ceci à travers un bref historique où seront retracés les jalons de ces expériences d'enseignement. Une seconde partie sera consacrée à l'étude des conditions (ou facteurs) liés à cet enseignement pour la période récente 1980-1995. On se limite à l'année 1995 car c'est à partir de celle-ci que l'Éducation Nationale algérienne se décide, enfin, à encadrer et à prendre en charge des cours de berbère.

 

 2- Historique de l'enseignement du kabyle :

         Par enseignement du kabyle, on n'entend pas une expérience mais une multitude d'expériences inégales et réalisées dans les cadres différents et ayant eu  les objectifs les plus divers.

         La première et la plus ancienne de ces expériences est celle qui a eu lieu sous la colonisation française au sein des établissements tels que l'École Normale de Bouzaréah eu lieu sous la colonisation française au sein des établissements tels que l'École Normale de Bouzaréah (Alger) et la Faculté des Lettres d'Alger.

         Mais l'hypothèse de l'existence d'un enseignement du berbère (de façon générale) pendant le Moyen-Age, peut être émise si l'on tient compte de l'écriture du berbère en caractères arabes à cette période. A ce propos, S.Chaker (1983 : 27) note :" Il est clair que ce passage à l'écrit, dans la mesure où il s'agit d'œuvres consistantes implique (...) un enseignement et une transmission du savoir sur la langue berbère".

         Toutefois, la première attestation écrite et explicite de l'existence de cours de berbère et précisément du kabyle date de la fin du XIX° siècle. Celle-ci s'est concrétisée par :

         - La création de l'enseignement du berbère à la Faculté de Lettres d'Alger dès les années 1880.

         - La création d'un brevet de langue kabyle en 1885 (Cf. Annexe

I).

         - La création d'un diplôme des dialectes berbères en 1887 (Cf. Annexe II).

         - L'instauration d'une prime annuelle aux instituteurs titulaires du brevet ou du diplôme de berbère.

         L'intérêt pour cet enseignement apparaît au niveau des publications. Pour la seule année de 1887, trois manuels, qui demeureront d'ailleurs les références pour quelques décennies à venir, sont publiés. Il s'agit  de :

         - Manuel de langue kabyle de R.Basset,

         - Cours de langue kabyle de B.Bensedira,

         - Une première année de langue kabyle de S.A.Boulifa.

         Plusieurs autres ouvrages témoignent de la continuité de cet enseignement au début du XX° siècle, par exemple :

         - Méthode de langue kabyle, Cours de deuxième année de S.A.Boulifa,

         - Recueil de compositions, (sans nom d'auteur, probablement de S.A.Boulifa).

 

         A partir de 1913, les recherches en linguistique berbère se renouvellent et les cours se consolident avec la création du cours de berbère à l'École des Langues Orientales (actuelle Inalco) à Paris. D'autres chercheurs (A.Basset, J.M.Dallet, A.Picard...) viendront assurer les cours au sein de la chaire de berbère de l'Université d'Alger. Pendant longtemps, ces enseignants resteront les uniques défenseurs de cet enseignement comme en témoigne l'attitude d'André Basset en 1935 lors de la session spéciale de la Commission des Affaires Musulmanes (Cf. Annexe III). L'existence de la chaire de berbère à l'Université d'Alger comme pôle scientifique de recherche et d'enseignement n'exclut pas qu'il y est d'autres lieux d'enseignement du kabyle dont le centre du Fichier de Documentation Berbère crée par les Pères Blancs à Ain-el-Hammam en 1946 ; ou aussi le Centre d'Études Régionales de Kabylie à Tizi-Ouzou en 1954.

         A l'indépendance, un coup a été porté à l'enseignement du berbère comme à la recherche dans le domaine berbère. La chaire de berbère de l'Université d'Alger est supprimée. L'Etat algérien a purement exclu les études berbères considérées comme gênantes pour la réalisation de l'unité idéologique arabe.

         En 1965, M.Mammeri put assurer des cours de berbère au sein du Département d'Ethnologie de l'Université d'Alger. Mais ce dernier fut supprimé lors de la réforme universitaire de 1971. Depuis, toutes les tentatives de créations de cours de berbères avaient échoué, et ce jusqu'en 1990. Et pendant cette vingtaine d'années, c'est surtout en émigration que se développe l'activité militante berbère et donc celle de l'enseignement du kabyle dans des cadres tels que le Groupe d'Études Berbères à l'Université de Paris VIII (Vincennes) crée en 1973,ou autres associations.

         A partir de 1980, plusieurs cours "sauvages" (pour reprendre le qualificatif usité à l'époque), furent organisés aux Universités d'Alger et de Tizi-Ouzou et à travers quelques lycées de la région.

On remarquera à travers les publications de cette période (1980-88), constituées pour la plupart de revues et de brochures ronéotypées l'existence de cours tirés des manuels comme "La langue berbère -Initiation à l'écriture" édité par le G.E.B à Paris ou de "Tajerrumt n Tmazivt" de M.Mammeri. Ce n'est qu'après 1988, que l'enseignement du kabyle connaîtra un certain essor avec la création d'associations culturelles. Certaines d'entre elles (FNACA, Idles,...) assurent à ce jour un enseignement de qualité.

         Au cours des années 70 et 80, de multiples démarches sont menées par M.Mammeri, s.chaker... pour l'intégration du berbère au sein l'université algérienne se sont soldées par le refus des autorités qui pourtant prônent un discours d'ouverture destinée à l'opinion internationale. 

         En 1990, un département de langue et culture berbères est crée à Tizi-Ouzou. Une année après, un autre voit le jour à l'Université de Béjaïa.

         Suite au boycott scolaire de 1994/95 et à la création du H.C.A, des enseignements "facultatifs", complémentaires... ont été autorisés pour les classes d'examens de certaines régions berbérophones.

         En 1995, en France, l'épreuve facultative de berbère qui était jusqu'alors orale est devenue écrite.

 

3-Importance de cet enseignement :

         Les expériences s'échelonnent sur plus d'un siècle, réalisées dans les cadres les plus divers : centres de recherches, universités, lycées, associations... en divers milieux : Kabylie, Algérois, émigration kabyle en France... sont d'une inégale valeur. De même que les apprenants ont été, eux aussi, très divers (berbérophones et non-berbérophones), dans le temps et dans l'espace.

         Pour illustrer l'importance, on peut évaluer une expérience ou un ensemble de celles-ci qui se sont déroulées en Kabylie entre 1980 et 1995. Au cours de cette évaluation, on n'a pas tenu compte des cours et publications qui ne s'inspirent pas de l'héritage universitaire et qui n'ont pas pour fondements les résultats des recherches actuelles en linguistique. Il s'agit particulièrement des publications de L.Bahbouh, H.Cheradi, M.Haroun... qui ont souvent pour référence la grammaire publiée par H.Hanouz en 1970.

         Un seul manuel "Langue berbère" du G.E.B sera traité au cours de cette brève analyse puisque la plupart des cours de la période citée s'en inspirent souvent. 

 

4- Facteurs liés à cet enseignement :

         En regardant de près le contenu des enseignements dispensés lors des cours de berbère, il est facile de se rendre compte de l'importance accordée à la syntaxe et à un degré moindre à la phonologie comparée une absence quasi totale d'un intérêt pour le lexique. Ceci se justifie par plusieurs facteurs touchant au diverses catégories éducatives telles que définies par R.Galisson (1990 : 14  ).

 

Facteurs liés aux milieux instituant et institué :

         L'absence de reconnaissance officielle explique la non prise en charge de l'enseignement du berbère à travers le système éducatif algérien. Cette "exclusion" du champs éducatif officiel a conduit les militants berbéristes a envisager un "enseignement" dans des cadres gérés ou créés par eux. Ainsi pendant longtemps, les "comités" ou "collectifs universitaires" et par la suite les associations culturelles, ont été les seuls espaces où le kabyle est enseigné. L'absence de structure de planification éducative, de gestion et de rationalisation des différents expériences ont conduit à un déséquilibre dans les objectifs de contenu (ou d'instruction) à viser.

 

Facteurs liés à l'objet :

         Les objectifs principaux à atteindre que se fixent les agents de l'enseignement du kabyle, sont très limités. Ils consistent avant tout en l'alphabétisation de l'apprenant dans sa langue maternelle. Celle-ci pouvant permettre à terme, une production écrite en kabyle de la part de l'apprenant. Par-là, on peut conclure donc, que l'enseignement / apprentissage du lexique n'est pas une priorité. Il est secondaire du fait que les apprenants sont, en grande majorité, berbèrophones.

         Les modalités d'insertion des connaissances nouvelles (moments, supports et les techniques) montrent l'importance de ces objectifs

visés :

1)- Moments : les cours de kabyle sont généralement organisés en dehors des séances des cours normaux, ils se déroulent généralement aux heures dites 'creuses' soit dans l'après-midi avant les séances des cours du soir, où soit après celles-ci ou parfois même lors des week-end et /ou les vacances scolaires.

2)- Les supports : Les manuels utilisés sont ceux qui sont disponibles chez les enseignants berbères, entre autres les ouvrages suivants :

  - M. Mammeri Tajeôôumt n tmazi$t Maspero. 1976.

  -[R.Achab]/GEB Langue berbère. Initiation à l'écriture Imedyazen. 1979.

  -[R. Achab] Tira n tmazi$t Tafsut 'Série scientifique et pédagogique' N°3 /1988.      

  - R. Achab Tira n tmazivt (Nouvelle édition) Tafsut 1990.

 

         Des leçons extraites des ces ouvrages sont souvent reproduites dans des revues et bulletins selon une tradition qui remonte au bulletin de l'Académie Berbère Imazighene publié entre 1970 et 1975.

 

3)- Les techniques : Outre le cours ordinaire de grammaire et d'initiation à l'écriture, on note l'utilisation de documents originaux (contes traditionnel, textes ethnographiques, chansons, littérature moderne, traductions...)

         Un embryon de cours à distance a été mis en place (Tizi-Ouzou, Alger).

 

Facteurs liés à l'agent :

         La plupart, si ce n'est la totalité, de ceux qui se sont dévoués à l'enseignement du berbère l'ont fait par militantisme. Ils ont acquis leurs connaissances sur le kabyle lors des cours de M. Mammeri à l'Université d'Alger 1965-1972 ou à travers une formation d'autodidactes avec les publications du FDB qui paraissaient jusqu'au 1975. Par la suite, de nombreux 'enseignants' ont acquis leur formation dans le tas et dans les rares séminaires de formation organisés après 1989. La majorité d'entre eux maîtrisent la langue française du fait de leur formation et donc peuvent avoir par la même accès aux différents travaux linguistiques. La plupart ont eu / ou ont toujours une place d'enseignant dans le système éducatif officiel. D'autres ont acquis une formation en émigration et ont pu exercer au sein des diverses institutions et associations qui le leur permettent.

 

Facteurs liés au groupe et à l'apprenant :

         La majorité des groupes qui forment les apprenants a été constitué pendant longtemps par les étudiants et les lycéens uniquement. Ce n'est que ces dernières années 1989-1994 que l'on voit un intérêt grandissant auprès des autres catégories sociales : travailleurs, cadres...

         L'attente des apprenants n'est guère un diplôme mais une acquisition de connaissances pouvant servir pour  la réalisation de publications : poésie, romans... ou aussi pour l'élaboration de discours politique et enfin dans l'unique but d'apprendre à écrire sa langue.

 

5- Étude du contenu d'un manuel :

'Langue berbère - Initiation à l'écriture' du GEB.

         Élaboré en 1979, le manuel Langue berbère-initiation à l'écriture est en fait l'œuvre de R. Achab même s'il est publié sous l'appellation d'auteur : GEB. Un tirage ronéotypé est fait 1981 à l'université de Tizi-Ouzou, un autre est fait en 1989 par l'association Azar à Béjaïa.

         Il est composé de six chapitres organisé chacun en cours comme réponse à un problème de l'écriture du berbère. A travers l'acquisition de celle-ci, c'est en faite la grammaire qui est enseigné. Les six chapitres sont :

 

1- L'alphabet.

2- Les règles d'écritures.

3- Les particules de direction.

4- Le problème du 'i'.

5- Les phénomène d'assimilation.

6- les phénomène d'annexion.

Chaque chapitre est organisé en trois parties distinctes.

La 1ere  partie représente le cours concernant un problème d'écriture.

La 2éme partie est constituée de textes de lecture. Le nombre de textes est variable, il peut aller d'une liste de mots (88 mots) cas du premier chapitre jusqu'à 14 extraits cas du sixième chapitre.

La 3eme partie  intitulée : remarque sur les textes de lecture est une révision du cours en prenant comme exercice d'application et d'explication des textes précédent.

Les textes de lecture donné dans le livre sont au nombre de 30 au total. Il ont tous été publiés au cours des années 70 par des auteurs faisant partie pour la plupart du GEB. Hormis les adaptations des deux pièces de théâtre de B. Brecht et de celle de K. Yacine, la plupart des documents constituent des œuvres originales.

 

         La paternité des œuvres n'est pas toujours sûre, ainsi les proverbes recueillis par Muhand u Yehya relèvent du domaine populaire et certains ont même été publié par le Père H. Genevois au FDB sous le titre Akken qqaren medden (Fascicule 67/1966). Certaines des pièces de poésie sont en faite l'œuvre traduite d'auteurs étrangers, ainsi :

 - Winna yezzartin est une de deux versions kabyles du Déserteur de Boris Vian  adapté par Muhend u Yehya.

 - Gma, weltma est une version kabyle de Tu es comme le scorpion, mon frère du potée turque N. Hikmat.

 

         On remarquera qu'aucun texte ethnographique ou transcris à partir de la tradition orale (contes, poésie...) n'y figure. Bien au contraire, certains poèmes ont connu une diffusion massive du fait de leur reprise immédiate à travers la chanson kabyle moderne par Ferhat, Mennad, Idir... (Cf. tableau signalétique des textes ).

         Idéologiquement, le choix des textes n'est pas neutre, il s'explique par la volonté des militants berbéristes de l'époque de promouvoir une néo-littérature de création individuelle et personnelle contrairement à la tradition orale qui est une production collective. Il s'explique aussi par la volonté  de permettre l'accès à la littérature universelle et particulièrement occidentale, par le truchement de la traduction et de l'adaptation. Cette volonté se conjugue avec celle du passage à l'écrit.

         Le manuel ne sert au fait que pour l'acquisition de l'orthographe du kabyle écrit en caractère latin. et par la même la production d'œuvres correctes à la lecture.

         Dans la troisième partie, l'explication française des termes kabyle est parfois donné suivant deux intérêts :

 

a) le premier est celui d'expliquer une structure syntagmatique à différente réalisation entre le kabyle et le français.

Exemple : p.16- la copule 'd' :

'd' peut être traduite par 'c'est ' ou 'ce sont' :

exemples de traduction :

uzzal  "fer"                              d uzzal   "c'est du fer"  

awal   "mot"                           d awal   "c'est un mot"

atmaten  "frères"                   d atmaten  "ce sont des frères".

 

b) le second est celui d'expliquer un terme n'étant plus d'usage ou étant un néologisme. La rubrique porte le tire de vocabulaire.

Exemple : p.16- tafukt= iîij, le second terme étant plus courant que le premier.                      

Nous avons aussi : p.72- tayri= amour,     néologisme

                                      tilelli= liberté,     néologisme.

 

         Donc, concernant l'enseignement du lexique, et au regard des facteurs liés aux différentes catégories éducatives, il apparaît  clairement que l'enseignement/ apprentissage du lexique est considéré comme implicite et automatique à travers l'acquisition des structures grammaticales. La priorité étant donnée à l'acquisition de l'écrit, l'importance du lexique s'est vue réduite .

         Cela ne  signifie nullement que les problèmes que pose celui-ci  ne soient perçus et pris en compte par les enseignants et apprenants du kabyle; A titre d'exemple, pour faire face au recours automatique à l'emprunt, M.Mammeri et quelques-uns uns de ses étudiants élaborent l'Amawal  ( Lexique de néologie moderne) .

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau signalétique des textes publiés dans Langue berbère

Tableaux des textes de la méthode‘ langue berbère - Initiation à l’écriture’/GEB

 

Chapitre

Titre et /ou contenu

Genre littéraire

Auteur          

Titre de l’ouvrage et/ou périodique et année de publication

I – Alphabet

 1

 

Lexique(88mots)

 

 

 

II- Règles de l’écriture

2

liste de 32 proverbes

(Proverbes)

Muùhend u yahia

Akken qqaren medden,

(Inhissen), Tisuraf 1978

 

III- Particules de direction

3

(Extrait)

Théâtre

Bertolt brecht

Aneggaru ad tabburt, adaptation de ‘la décision’1976

IV- Problème du i

4

Yemma

Poésie

amer wakli

Tafunast igujilen

V-Phenomenes d’assimilation

 

5

Winna yu$iten

 $er tmurt

         « 

Muhand u yahia               

Mazal lxir ar zdat

VI- Phénomènes d’annexion

6

Hedre$ i tnekra

 

amer wakli

Tafunast igujilen

7

Ay arrac nne$

 

Muhand u yahia

Mazal lxir ar zdat

 

8

Winna yeééartin

Poésie

Muhand u yahia (boris vian)

Mazal lxir ar zdat

9

Extrait

Théâtre

B.Brecht

Llem ik , ddu d uvar ik

Adaptation de ‘L’exception et la règle’1975

10

Extrait

 

B.Brecht

Anneggaru ad yerr tabburt,

 

11

Ass amezwaru

 mi ri

Poésie

Amer wakli

Tafunast  igujilen

12

D acut ?

d acut ?

Poésie

Muhand u yahia

Mazal lxir ar zdat

13

Tayri

Poésie

         X

Bulletin d’Etudes berbères

 

14

Taddart nni ne$

Poésie

Muhand u yahia

Tafunast igujilen

 

15

Tira

Poésie

Amer wakli

 

 

Tafunast igujilen

16

Bu tjewwaqt

Théâtre

Amer wakli

         «               »

 

17

Extrait

Théâtre

B.Brecht

Aneggaru ad yerr taburt,

 

18

Extrait

Théâtre

B.Brecht

Ddem abaliz-ik a Muh in Bulletin d’Etudes Berbère N°4,8,9 et 10 / 1974 –77

19

Gma

weltma

Poésie

Kateb yacine

‘Isefra’

 

 

20

A lmlud ,

A gma

Poésie

Lwennas iflis/(Nazim Hikmet)

‘Isefra’

21

A$rib

 

Poésie

Lwennas Iflis

‘Isefra’

22

Anejma n taddart

 

Prose

X

Afud Ixeddamen N° 5/1977

23

Tayuga temmec

Prose (conte)

X

Bulletin d’Etudes Berbères N°12/1977

24

Ameyezz …

« 

X

Bulletin d’Etudes Berbères N°12/1977

25

Imexluqen

« 

X

Bulletin d’Etudes Berbères N°12/1977

26

Tehsel garasen

 

« 

X

Tisuraf N° 1/1978

27

Nek°ni ..

 

« 

X

Tisuraf N° 1/1978

28

Taqeld-iyi

 

« 

X

Tisuraf N° 1/1978

29

Ttif  ivelli ass-a

 

« 

X

Tisuraf N° 1/1978

30

icibib

« 

X

Bulletin d’Etudes Berbères N°12/1977

 

 

NOTES :

1- Ce texte constitue en fait une suite à Contribution au berbère fondamental publié dans Tifinagh N°11/12 pp. 103-110, Rabat, Maroc. L'analyse approfondie de plusieurs expériences d'enseignement telles celle de M.Mammeri (1965/71), celles des associations berbères légales (1989/95), celles de l'émigration... a été omise.

2- Suite à cette réunion, André Basset publie en collaboration avec Jean Crouzet un Cours de berbère (Parlers de Kabylie) dont le premier fascicule Exposé grammatical est tiré en Linotype et ce en 1937. Dans la préface de ce volume datée de 1936, il avertit que c'est par une  impérieuse nécessité d'enseignement que le manuel est aussi vite élaboré.

3- pour plus de détails sur ces demandes de prise en charge officielle de l'enseignement du berbère à l'Université, lire S.Chaker, Imazighen ass-a, Bouchène, Alger, 1990 et particulièrement le chapitre 9 pp.79-84. Voire aussi Tafsut, Série normale, N°13/1989, Tizi-Ouzou pp.90-96. 

4- Ces travaux étant l'œuvre de militants amateurs n'ayant fait aucunes études en linguistiques générale et berbère sont truffés d'approximations, de contresens et de vérités a-scientifiques, ne font que desservir les éludes berbères.

5- Les deux associations (Idles et FNACA/ Agraw Adelsan Amazigh) basées à Tizi-Ouzou, ont été les seules à se soucier du niveau des enseignants et du contenu des cours dispensés par les associations. Elles ont, à cet effet, organisé plusieurs rencontres avec les praticiens et les chercheurs en linguistique comme elles ont mis en place des cycles de formation de formateurs entre 1990 et 1995.

6- Concernant l'élaboration de l'Amawal et l'analyse critique de son contenu, lire R.Achab La néologie lexicale berbère (1945-1995), éditions Peeters, Paris, 1996  et particulièrement le chapitre 4 pp.133-175.

 

Références bibliographiques :

Outre les références mentionnées dans le texte, on renvoie à :

S.Chaker 1983/1990 Manuel de linguistique berbère, Introduction au domaine berbère, 2° édition Bouchene, Alger.

R.Galisson Didactologie / Didactique des langues et cultures. Études de Linguistique Appliquée N°79/1990, Didier, Paris.

 

ANNEXES

I- Le Brevet de langue kabyle de 1885.

II   - Le Diplôme des dialectes berbères de 1887.

III- L'enseignement du berbère et de l'arabe. Extraits du débat de 1935.

 

Annexe I –L’enseignement du berbère et de l’Arabe (1935)

(Document reproduit in Tafsut n°10, [pp.74-75],Avril 1985/Tizi- Ouzou

 

L’Enseignement de l’Arabe et du Berbère

Extrait d’un Débat de 1975.

            Nous publions ci-dessous des extraits d’un débat sur l’enseignement de l’Arabe et du berbère datant de 1935.Ces extraits sont tirés des procès –verbaux officiels de la session spéciale de 1935 de la commission interministérielle des affaires Musulmanes. Nous le faisons dans le but suivant :apporter un complément d’information sur la position des autorités françaises de l’époque et celle des députés  musulmans par rapport à la langue berbère .

            Une remarque au sujet de ces extraits :l’Enseignement de l’Arabe bénéficie de toute une annexe au procès-verbal, ( enseignement de l’Arabe aux indigènes ,enseignement de l’Arabe aux Européens ,enseignement libre ,école coranique) alors que le Berbère n’est évoqué que de façon marginale et souvent négative. Tandis que le Khalifa El Hadj Djelloul ben Lakhdar qui salue au passage « la glorieuse France » défend avec emphase l’extension de l’enseignement de la langue Arabe , M.Bendjeloul (délégué financier) s’oppose à un enseignement généralisé du berbère,  « simple dialecte ».

ANNEXE II

L’Enseignement de l’Arabe en Algérie

Rapport Préliminaire .

            La France n’a pus cessé de s’intéresser à l’enseignement de l’Arabe dans les établissement scolaire de tous les degré. Les indigènes s’en sont longtemps déclarés satisfaits et ont rendu hommage à nos efforts .Depuis quelque années cependant, un mouvement  s’est produit dans certain milieux musulmans en faveur du développement  et la rénovation des études arabes .

            Ces milieux réclament notamment : 1er institution dans les écoles primaires d’un cours d’arabe obligatoire pour tous les musulmans et professé par d’anciens élèves des médersas titulaires du diplôme d’études supérieures des médersas ; 2° la réforme de l’enseignements musulmans dans les médersas par l’amélioration et l’élargissement scientifique des programmes ; 3° l’augmentation du nombre des moudérrés officiels enseignant dans les mosquées ; 4° l’octroi de larges facilité pour l’ouverture d’écoles coraniques et de médersas privées, en raison de l’insuffisance actuelle de l’enseignement officiel de l’arabe.

            L’épreuve d’arabe est obligatoire à l’examen du brevet supérieur. 345 élèves-maitres et 210 élèves-maitresses ont suivi les cours d’arabe parlé pendant la dernière année scolaire. Il est donné par semaine 17 heures d’arabe parlé réparties entre les trois années d’enseignement. en outre, le berbère est enseigné durant cinq heures par semaine dans la section spéciale.

            L’enseignement de l’arabe doit-il être rendu obligatoire dans toutes les écoles primaires, même les plus élémentaires et les plus rudimentaires. Et, si oui, à qui le confier ?

 

II- L’enseignement de l’arabe aux européens.

            La connaissance de la langue arabe est indispensable en Algérie à de nombreux français que leur fonctions ou leur occupations mettent en contacte permanent avec les indigène.

L’enseignement de l’arabe est donné dans les écoles primaires supérieures, les lycées et collèges et à la faculté des lettres d’Alger en vus d’examen spéciaux , brevet d’arabe ,diplôme, licence  en agrégation d’arabe .On peut se demander s’il ne conviendrait pas d’instituer dans les écoles primaires européens  parallèlement  à l’enseignement musulman donné aux indigènes, des cours d’arabe destinés spécialement aux Européens.

            M.Milliot.- je reprends certains points du rapport de M.Bendjelloul .Vous êtes partisans de l’enseignement de l’Arabe aux fonctionnaires ; nous sommes donc d’accord là-dessus, et la commission pourrait adopter une motion préconisant de renforcer l’enseignement de l’arabe à tous les fonctionnaires.

            Nous somme également d’accord sur l’enseignement de l’arabe dans les écoles primaires européennes et indigènes par des moudérrés  .

M.de MONSARERT – La connaissance de l’arabe est obligatoire pour tous les officiers servant dans l’Afrique du Nord ;il est également enseigné dans les écoles de formation. Il faut reconnaître que les cours d’arabe sont peu suivis dans ces écoles, car ils ne sont pas obligatoires. Il faudrait que les cours d’arabe obligatoires ainsi que ceux de sociologie musulmane.

 

Ainsi , à Saint    Cyr , on compte , sur 300 officiers environ en moyenne , 123 élèves d’arabe en première année , tandis qu’en deuxième année ce chiffre se réduit à 40 .

 

A Saint – Maixent, on trouve 230 officiers apprenant l’arabe .

A Saumur on en compte 106.

 

Messieurs , je me permet donc d’insister pour qu’un vœu soit émis dans le sens  indiqué ci-dessus.

 

M.André Basset…. Je m’associe entièrement à l’exposé de M.Gaudefoy-Demombynes. A titre de berbèrisant. , je tiendrai à faire remarquer qu’il ne faudrait pas perdre de vus le développement de l’étude berbère .

 

E – L’enseignement du berbère .

 

Il ne faut pas  oublier que le quart de la population indigène de l’Algérie parle berbère. Même quand les berbérophones sont bilingues, l’arabe n’est pas pour eux une seconde langue maternelle, mais bien une langue étrangères  , apprise  d’une façon plus au moins poussée, plutôt moins que plus, quand  ils arrivent à l’âge d’homme .Puisqu’il s’agit de développer  l’enseignement de la langue maternelle des indigènes, on ne saurait, semble-t-il, contester que les mesures prises pour développer l’enseignement de l’arabe doivent être prises également et simultanément pour développer l’enseignement du berbère.

 

c- l’Enseignement Libre de l’Arabe.

la commission émet l’avis que rien ne soit changé à la situation actuelle des écoles libres coraniques ( Kouttabs ,  Zaouias ,mçids, medersas privés) dès l’instant qu’elles se bornent à donner un enseignement uniquement religieux et que le décrit de 1892 leur soit appliqué dans l’esprit le plus libéral .

 

M.Benjelloul – je ne voudrais pas laisser passer cette occasion sans vous exprimer toute la reconnaissance que porte à la France la jeunesse musulmane instruite dans les écoles françaises .Les chiffres donnés dans le rapport de M. Augustin Bernard sont exacts, mais il y a encore près de 800.000 indigènes musulmans qui ne reçoivent pas d’instruction françaises .

 

Nous avons confiance en l’administration et en vous pour que nos petits frères reçoivent une instruction en français et en Arabe. Nous vous sommes reconnaissant d’avoir bien voulu traiter la question de l’enseignement qui nous tient particulièrement à cœur , car la tradition chez les musulmans veut que tous nous soyons à même de lire le livre sacré, le Coran. C’est pourquoi je tiens à signaler l’effort qui a été fait en matière d’enseignement, et je tiens ici à vous exprimer toute notre reconnaissance pour l’œuvre accomplie, pour l’œuvre grandiose qui a été faite .

 

Quand à l’enseignement du berbère, il me semble que le berbère est un simple dialecte. Par conséquent , on ne peut pas mettre l’enseignement du berbère sur le même pied que celui de l’arabe.

 

Il faut simplement apprendre le berbère aux fonctionnaires et aux officiers .

 

M.Milliot . – Pour les israélites il n’existe que des écoles confessionnelles .Quand  à la question du berbère, je suis d’accord avec vous ; le berbère n’est  pas  une langue écrite ,ayant des caractères propres ; on est obligé d’avoir recours à la transcription française ou arabe.

 

 B- Enseignement de l’arabe aux indigènes.

 

1-       écoles primaires européennes et indigènes.

 

La commission est d’avis qu’un enseignement de l’arabe soit donné dans toutes les écoles primaires européennes et indigènes. en excluant de ces écoles l’enseignement coranique qui n’y serait pas à sa place ;

 

Que l’enseignement de l’arabe classique soit donné par les mouderrès dans les écoles   principales agglomérations urbaines.

 

Que le statut et les programmes de l’enseignement des écoles indigènes tondent a se rapprocher

de plus en plus du statut et des programmes des écoles européennes. 

 

 

Annexe II – le Brevet de la langue Kabyle (1885).

(Document extrait de B.Bensedira, Cours de langue kabyle , pp.CCXLV-CCXLVII).

 

Programme du Brevet  langue Kabyle (délivré par l’école des lettres)

 

ARRETE

Portant création d’un brevet de langue kabyle (26 juillet 1885)

 

Art 1er – L’école préparatoire à l’enseignement supérieur des lettres d’Alger délivre un brevet de langue kabyle.

 

Art 2.- L’examen pour l’obtention du brevet de langue kabyle comprends trois épreuves écrites et trois épreuves orales .

Les épreuves écrites consistent :

1° En un thème en langue kabyle , avec analyse des formes grammaticales ; 

2° En une version dans la même langue, avec analyse des formes grammaticales ;

3° En une version arabe d’un texte facile.

 

La durée de chaque épreuve est de trois heures .

Nul n’est admis à l’examen oral s’il n’a pas mérité un minimum de 30 points, chaque épreuve donnant lieu à une note qui varie de zéro à vingt. La nullité d’une des composition pour les candidats , ou une connaissance insuffisante du français pour les indigènes ; entraîne l’ajournement.

 

Art 3.-L’éxamen  oral comprend :

1° L’explication d’un texte kabyle, avec interrogation sur la grammaire ;

2°Des exercices ayant pour objet l’interprétation de conversation en kabyle et en français

3°Un exercice de conversation facile en français et en arabe

4°.-Les candidats qui ont subi avec sucés les épreuves du brevet de langue  arabe  sont  dispensé de la partie arabe de l’examen soit écrit ,soit oral .

 

Art4.-Les candidats qui ont subi avec sucés les épreuves du brevet de langue arabe sont dispensé de la partie arabe de l’examen soit écrit, soit oral.

 

Art 5- Le jury d’examen de langue kabyle sera constitué chaque année par arrêté de Recteur de l’Académie d’Alger.

 

Art 6- Les examens  pour l’obtention du brevet de langue kabyle ont lieu à Alger à la fin et au commencement de l’année scolaire , à des dates fixées par le Recteur .

 

Art 7 – Le recteur de l’Académie d’Alger est élargie de l’exécution du présent arrêté .

 

                 Fait à Paris, le 28 juillet 1885.

                                                                                                     Réné Goblet.

 

Nota :les frais d’examen sont de 25 Fr, que les candidats paieront aux caisses des trésoriers ou de leurs préposés , sur la présentation  du bulletin de versement délivré par le secrétaire des Ecoles supérieures d’Alger.

 

 

 

Annexe III  – le diplôme de langue berbère (1887)

( Document extrait de S.Boulifa , cours de 2°année …pp.346-351

 

Notice Relative Au Brevet de Langue Kabyle et au Diplôme

Des Dialectes Berbères

 

1-Brevet de Langue Kabyle

la faculté des lettres d’Alger délivre un brevet de langue kabyle. Nul  ne peut être admis pour l’obtention de ce brevet , s’il n’est âgé de dix-sept ans accomplis au moment de l’examen.

l’examen comprend trois épreuves écrites et trois épreuves orales.

Les épreuves écrites qui sont éliminatoires consistent :1° en un thème en langue kabyle, avec analyse des formes grammaticales ; 2° en une version dans la même  langue, avec analyse des formes grammaticales ; 3°en une version arabe d’un texte facile.

 

Les épreuves orales comprennent :1° l’explication d’un texte kabyle avec interrogation sur la grammaire ; 2° des exercices  ayant pour objet l’interprétation de conversation en kabyle et en français ; 3° un exercice de conversation facile en français et en arabe .

 

La nullité d’une composition pour tout les candidats , ou une connaissance insuffisante du français pour les indigènes , entraîne l’ajournement . Les candidats qui ont subi avec succès les épreuves du brevet en langue arabe peuvent se faire dispenser de la partie arabe de l’examen soit écrit ,soit oral.

Les examens ont lieu à Alger à la fin et au commencement de l’année scolaire , à des dates fixées par le Recteur. Le jury d’examen est constitué chaque année par le recteur.

Les droits s’élèvent à 30 francs (examen ,20 francs ; visa du brevet ,10 francs)

 

(Décret du 21 août 1885 ; décrit du 28 juillet 1885)

Décret du 13 janvier 1910, concernant la prime annuelle accordée aux Institutrices et aux Instituteurs, révision de l’examen. .

 

2-       Diplôme des Dialectes Berbères.

La faculté des lettres d’Alger délivre un diplôme de dialectes berbèrs.

Sont admis à postuler ce diplôme : 1°les candidats européens et indigènes qui sont pourvus, soit d’un baccalauréat, soit d’un brevet de capacité de l’enseignement primaire ; 2°les indigènes pourvus du certificat d’études primaires doivent justifier du brevet de langue kabyle et d’une année d’étude à la faculté des lettres d’Alger. les interprètes judiciaires pour  la langue kabyle , en fonction, sont dispensés de ces conditions.

L’examen comprend deux épreuves écrites et Quatres épreuves orales . Les épreuves écrites qui sont éliminatoires comprennent :

1° Un thème en dialectes différents déterminé par la faculté ;

2° Une composition de grammaire sur les dialectes berbers.

L’examen oral comprend : 1° une conversation en dialectes différents déterminés par la Faculté ;         2° Une explication d’un texte berbère avec comparaison de dialectes ;3° une interrogation sur l’histoire et les coutumes des berbères ; 4° une conversation en langue arabe .

Le jury, après en avoir délibéré, peut ajourner un candidat pour  nullité de l’une des épreuves.

 

 


19/05/2013
0 Poster un commentaire

Les conditions de la production de la néo-littérature kabyle

Les conditions de la production de la néo-littérature kabyle

 

Par Said Chemakh

 

Introduction :

Avant d’aborder des études thématiques ou d’entamer des analyses littéraires du roman, de la nouvelle ou de la poésie kabyle écrite, il semble nécessaire de décrire les conditions d’existence de cette néo-littérature. Cette contribution relèvera donc plus de l’histoire littéraire et de la sociologie littéraire. Le rôle assignée à cette dernière est celui que donne R. Escarpit dans Sociologie de la littérature (1958) à : « La sociologie littéraire doit respecter la spécificité du fait littéraire. Bonne affaire pour l’homme de métier, elle doit aussi être une bonne affaire pour le lecteur en aidant la science - historique ou critique - dans les tâches qui lui sont propres. Ces préoccupations restent indirectement les siennes : son rôle est seulement de les concevoir à l’échelle de la société ».
Par conditions d’existence, nous entendons toutes les conditions et situations par lesquelles passe l’œuvre de l’écrivain ou du poète depuis sa mise en forme scripturale par l’auteur jusqu’à son accueil par le public. C’est des conditions de production, de distribution et de consommation qu’il sera donc question dans cette étude. Mais il nous a semblé nécessaire de revenir sur la connaissance et la maîtrise de l’écriture. Car comment un auteur peut-il aligner des lettres sur du papier s’il n’ait jamais appris à écrire, sa langue étant non écrite pendant des siècles ? Et dans quelles conditions un écrivain kabyle a-t-il écrit (et écrit) en kabyle ?
A la suite de M.Bakhtine, on admet que trois conditions sont nécessaires pour devenir écrivain : la compétence linguistique, la compétence littéraire et la motivation sociale.


De la compétence linguistique.

Les Berbères possèdent depuis au moins 25 siècles une écriture, le libyque dont la forme la plus connue sous le nom de tifinagh est encore en usage chez les Touaregs. Mais son usage est essentiellement d’ordre symbolique (stèles honorifiques, funéraires...) et il semble que l’usage du tifinagh a connu une extinction vers le V° s. après J.C. pour ce qui concerne la partie septentrionale de l’Afrique du Nord. L’essentiel de la poésie conservée depuis le XV° s. au moins, était de production orale soumise donc aux aléas que connaît toute littérature orale de part le monde à savoir, la perte totale ou partielle de pièces qui la composent, éternelles modifications à travers le temps... Pour ce qui concerne la Kabylie, ce n’est qu’après la conquête française que le kabyle fut transcrit en caractères latins par les militaires, les missionnaires religieux et puis par les linguistes. Les premières élites kabyles (constituées essentiellement d’instituteurs) apprirent cette écriture et l’utilisèrent à leur tour pour dire le monde. Certes, ce n’est pas seulement le fait d’être instruit qui permet de devenir écrivain ou poète. D’ailleurs, une bonne partie des écrivains kabyles sont des autodidactes. Mais cela ne signifie nullement absence de rapports entre l’apprentissage de l’écriture et l’école. S. Chaker (1992 : 8) notait qu’"il faut donc attendre la période coloniale et la très forte influence de l’Ecole et de la culture française pour que naisse une véritable production littéraire écrite en langue berbère". Cette influence de l’Ecole est très variable car les rares écrivains qui y ont eu accès ont produit leur littérature en français, il s’agit essentiellement de M. Mammeri, M.Féraoun, J.Amrouche... D’autres ont préféré écrire partiellement en berbère : M. Mammeri, S. Boulifa, M. Lechani... ou totalement : cas de Bélaïd Aït Ali. Certains écrivains ont appris à écrire en dehors de l’institution scolaire, par des apprentissages individuels. Toutefois, on remarque l’existence d’un lien entretenu avec les savoirs livresque et scolaire dans les propos tenus par ces auteurs dans leurs interviews, témoignages divers... mais aussi à travers les textes produits. Le rapport qu’entretient l’enseignement et l’écriture peut être aisément établi dans le cas de la littérature kabyle écrite. C’est la présence récurrente de l’absence de l’accès au savoir que prodigue l’école qu’il faut tenter d’expliquer. Une recherche reste à faire dans ce domaine et celle-ci permettra sûrement de saisir où finit l’oralité et où commence l’écriture dans la littérature kabyle. L’exemple de l’œuvre de Bélaïd Aït Ali est en ce sens très édifiant car elle permet de poser dès la fin des années 40, deux questions :
1)- Comment un écrivain peut-il ré-écrire une histoire transmise oralement depuis des générations (il s’agit de celle d’un saint : Ccix Hmed Wali) et l’insérer comme récit intradiégétique dans son roman, le premier du genre, Lwali n wedrar  ?
2)- Comment écrire en kabyle ? Faut-il reproduire récits et poésies tels qu’ils étaient dits depuis des siècles ? Ou alors faut-il alors modifier et travailler les textes en profondeur jusqu’à ce qu’ils soient différents de ce qu’ils étaient en littérature orale ? Si oui, quel rôle l’enseignement joue-t-il ?


De la compétence littéraire :
Dans le cas kabyle, la compétence littéraire est généralement acquise en dehors de l’enseignement du kabyle. L’enseignement qui devait contribuer à sa formation et à sa consolidation est quasiment inexistant. La scolarisation s’était faîte en langue française jusqu’à l’indépendance, puis en arabe mais aussi en français jusqu’à présent. Ce n’est qu’au cours de l’année 1995/96, que des cours de berbère ont eu officiellement lieu dans l’école algérienne. Si l’enseignement généralisé du berbère avait existé en Kabylie pendant la période coloniale, certains écrivains kabyles n’auraient-ils pas écrit et publié leurs oeuvres en berbère ? Si cet enseignement avait existé après l’indépendance, n’y aurait-il pas une littérature algérienne de langue berbère à côté des littératures de langues arabe et française ? Quelques arguments militent en faveur d’une réponse positive. De nombreux auteurs ont suivi les rares cours de berbère qui ont existé depuis au moins 1891, année ou fut crée le Brevet de langue kabyle. C’était le cas de Saïd Boulifa, professeur de kabyle. Pour peu que l’on ne se limite pas aux fins pédagogiques pour lesquelles il était élaboré, le Cours de 2° année peut être la première œuvre en prose écrite en kabyle. Lechani dont la poésie vient d’être édité avec une bonne partie de ses études sur la langue et la littérature sous le titre Ecrits berbères, est lui aussi diplômé de berbère en 1912. Brahim Zellal l’auteur du roman du chacal est lui aussi diplômé de berbère de l’Université d’Alger.

D’autres auteurs tels A. Mezdad, S. Sadi... ont suivi les cours que donnaient M. Mammeri à l’Université d’Alger jusqu’à ce que ces derniers ne soient interdits en 1973.
Quelques auteurs ont appris uniquement comment écrire le kabyle en caractères latins c’est à dire l’alphabet et n’ont suivi aucun cours de kabyle, c’est le cas de Mezyan u Muh (de son vrai nom Gherram Hocine). Et c’était le cas de Bélaïd Aït Ali qui a pourtant poursuivi sa scolarité en français jusqu’au brevet mais qui n’a écrit en kabyle que lorsque les deux Pères J.-M. Dallet et J. Lanfry, responsables du Fichier de Documentation Berbère, lui ont demandé de leur écrire des histoires et des contes pour le FDB, occasion où il apprit la transcription utilisée jusqu’alors. Le romancier Amar u Hemza, ouvrier immigré en France, a appris à écrire en kabyle en dehors de l’institution scolaire. C’est également le cas de prosateurs tels Djafer Chibani et Ahmed Berkouk.

Hamane Abdellah a créé un alphabet personnel à base des lettres arabes pour écrire non seulement ses traductions des versets coraniques ou des poèmes de Baudelaire mais aussi ses nombreux récits et pièces de théâtre.
Toutefois, la compétence linguistique (et à fortiori littéraire) ne se réduit pas à la capacité de noter et/ou de transcrire la langue. Elle exige aussi l’acquisition d’un niveau de langue, d’un registre de la koinè littéraire qui, pour cette génération d’écrivains, est passé par l’oralité. Ce passage a, d’ailleurs, plusieurs incidences sur l’écrit.
La compétence littéraire se remarque aussi dans la maîtrise des œuvres de la littérature kabyle orale par la plupart des écrivains. Parfois, l’influence des prédécesseurs, par exemple Si Muhend pour ce qui est de la poésie, est telle que l’on arrive difficilement à discerner l’appartenance de certains neuvains. De nombreux poètes (Si Lhusin, Mezyan u Muh...) ont fait du neuvain presque l’unique structure formelle en poésie kabyle. Cette influence est malheureusement inconsciente. Pour ce qui est de la prose, la compétence littéraire passe aussi par la maîtrise des techniques du conte traditionnel. Si on prend le cas de Bélaïd, on remarque qu’il a avant tout réutilisé le conte comme premier terrain d’essai avec de courtes introductions de description avant d’écrire des récits inspirés directement de sa vie quotidienne (Afenjal n lqehwa, Lexdubegga...). Toutefois, la littérature française (et universelle traduite en français) a beaucoup contribué à forger cette compétence surtout chez les romanciers des années 80 et 90.


Conscience identitaire et idéologie :

Dans le cas du kabyle (et du berbère en général), la conscience identitaire a constitué une ‘motivation sociale’ pour cette génération d’écrivains.

Il est indéniable que la conscience identitaire berbère a joué un rôle déterminant chez la plupart des auteurs kabyles de ce siècle. Déjà, les poètes du XVIII° et XIX° siècles (de Yusef u Qasi à Si Muhend) ne se reconnaissent que comme kabyles. La Kabylie était indépendante de tout pouvoir extérieur, au moins depuis la fin du XIV° s. et ce jusqu’à la conquête définitive (1857) et surtout après l’écrasement de l’insurrection de 1871. La naissance d’une conscience nationale algérienne au XX° s. n’a pas réduit pour autant la conscience identitaire kabyle, ni même la conscience d’appartenance régionale. Le vocable tamurt n Leqbayel ne se réduit pas à une région repérée sur une carte mais renvoie à une langue, une culture qui sont vécue comme différentes de celles des autres (Arabes, Turcs et Français).

L’exclusion des références à la berbérité dans toutes ses dimensions linguistiques, culturelles et historiques dans le discours nationaliste et dans les textes fondateurs de l’Etat-Nation algérien n’a fait que renforcer la conscience identitaire berbère. Cette dernière se caractérise par le sentiment d’appartenance à une même communauté linguistique, certes fragmentée mais ayant des références culturelles et historiques communes. Cette identité ne se veut pas seulement régionale (kabyle) ou nationale (algérien) mais transnationale c’est à dire nord africaine car partagée avec les autres communautés berbérophones qui s’en réclament (Chleuhs, Rifains, Touaregs, Nefoussis...).

Si cette conscience identitaire se retrouve affirmée chez les militants politiques (A.Imache, O.Bennaï...), nous la retrouvons aussi chez les écrivains et poètes des années postérieures à l’indépendance et même chez les poètes nationalistes tels Yidir Aït Amrane, l’auteur du chant Ekker a mmi-s umaziγ (1945). Elle n’est pas de reste chez les écrivains kabyles de langue française les plus classiques : M. Féraoun, M. Mammeri, J. Amrouche... Et apparaît même sous des formes subtiles dans l’œuvre de T. Djaout alors qu’elle est plus clairement assumée dans les écrits de N. Fares. Certes leurs œuvres ne sont pas réductibles à cette seule référence idéologique, mais elle demeure néanmoins importante et même centrale dans La Traversée de M. Mammeri, par exemple. Chez Taos Amrouche qui a publié tous ses romans en français, cette référence se manifeste sous la forme d’un texte autant polémique que politique : Que fait-on pour la langue berbère ?, publié une première fois dans Le Monde en 1956, avant d’être repris dans Documents nord-africains en 1957.

La berbérité comme référence idéologique des auteurs se retrouve inscrite dans de nombreuses œuvres poétiques surtout à partir des années 1970. Mais elle est plus prépondérante dans le roman. Elle y est citée explicitement dans six des huit romans publiés jusqu’ici sans compter qu’elle l’est aussi dans la nouvelle Lwali n wedrar de Bélaïd At Ali.
D. Abrous (1989) a déjà mis en évidence cette conscience identitaire dans les productions romanesques kabyles. La récurrence de cette conscience chez les écrivains et poètes kabyles quelle que soit leur langue d’expression (kabyle ou français) est, par ailleurs, un des critères d’existence d’un espace littéraire kabyle spécifique telle que défini par D. Merolla dans Espace littéraire kabyle (1996). L’histoire de la constitution de ce dernier et l’analyse des courants qui le traversent restent à faire. Mais il demeure néanmoins comme la seule dénomination permettant de consacrer la littérature écrite par les Kabyles loin des appellations spéculatives ou portant de fortes charges idéologiques que ce soit nationaliste, linguistique... Car après avoir été pris dans un ensemble nommé littérature algérienne de langue et/ou d’expressions : française, berbère... n’a-t-on pas vu Adonis la classer comme littérature arabe d’expression berbère ?


Saïd CHEMAKH.



Bibliographie succincte :
La production romanesque kabyle : une expérience de passage à l’écrit, Mémoire de DEA, ILGEOS, Université de Provence.
Amrouche Taos, "Que fait-on pour la langue berbère ?", Documents nord africains, Juin 1957.
Chaker S., 1999, Berbère aujourd’hui, 2° édition, l’Harmattan, Paris. Publié en Algérie sous le titre Imazighen ass-a, Bouchène, Alger, 1990.
Chaker S., "La néo-littérature Kabyle", Bulletin d’Etudes Africaines, 1989, Inalco, Paris.
Chemakh S. et Khellil S., 1989, "Développement de Tamaziγt à travers le mouvement associatif" in Tafsut N° 13 : Hommage à M. Mammeri, pp : 81-89, Tizi-Ouzou.
Déjeux J., 1992, La littérature maghrébine d’expression française, Puf, Paris.
Escarpit R., Sociologie de la Littérature, coll. Que sais-je ?, Puf, Paris. Etudes et Documents Berbères, N° 13, Edisud, Aix-en Provence.
Merolla D., 1996, Gender and community in the Kabyle literary space, Research School CNWS, Leiden.

 


05/12/2012
0 Poster un commentaire