Linguistique amazighe

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PRAGMATIQUE. Cours n°3 : LES ACTES DE LANGAGE.

 

 

PRAGMATIQUE.  Cours n°3 :

LES ACTES DE LANGAGE.

 

La pragmatique linguistique sʼest développée à partir de la théorie des actes de langage. Cette théorie montre que la fonction du langage n'est pas essentiellement de décrire le monde, mais aussi d'accomplir des actions.

L'initiateur de cette théorie est le philosophe britannique Austin dans son ouvrage : How to do things with words (1962), elle est développée par J.-R.Searle dans deux ouvrages Les Actes de Langage (1972), et Sens et expression, 1982.

Le développement le plus récent de la pragmatique linguistique est la pragmatique cognitive (issue de la théorie de la pertinence de Sperber et Wilson) qui réduit l'importance des actes de langage et qui simplifie la théorie.

 

  1. 1.     Les actes de langage (A. L.) :

 

La théorie des actes de langage s'oppose à la conception descriptive du langage qui veut que :

→ la fonction première du langage est de décrire la réalité : nommer les objets du monde.

→ les énoncés déclaratifs sont toujours vrais ou faux.

 

Austin défend l'idée que :

→ la fonction du langage est aussi d'agir sur la réalité.

→ les énoncés déclaratifs ne sont ni vrais ni faux, mais réussis ou non.

 

Austin distingue donc :

→ les énoncés constatifs qui décrivent le monde : ex. le soleil brille.

→ les énoncés performatifs qui accomplissent une action : je te promets que je viendrai.

 

Les constatifs sont vrais ou faux (le soleil brille ou non), les performatifs sont réussis ou non.

 

Un énoncé performatif est réussi :

→ si l'énoncé s'adresse à quelqu'un.

→ si l'énoncé est compris du récepteur, cʼest-à-dire s'il y a correspondance entre ce qui est dit et ce qui est fait.

Ex. dire « je ne suis pas content » en colère / en riant.

 

NB : Austin travaille sur des énoncés déclaratifs, affrrmatifs, de 1ère pers. Sg, à l'indicatif présent, voix

active, non descriptifs.

 

2. Les types d'actes de langage :

 

À l'examen, Austin constate qu'il est difficile d'opposer strictement constatifs et performatifs.

En effet :

→ un énoncé peut être implicitement performatif : je viendrai demain.

→ un énoncé constatif correspond la plupart du temps à un acte de langage implicite : l'assertion.

Ex. je dis la vérité quand je dis que le soleil brille.

 

Donc pour Austin, l'énonciation est le fruit de trois activités complémentaires :

→ l'acte locutoire (= que dit-il ?) : production d'une suite de sons ayant un sens dans une langue

→ l'acte iIIocutoire (que fait-il ?) : production d'un énoncé auquel est attaché conventionnellement une certaine« force ». (déclarer, promettre, s'engager…).

→ l'acte perlocutoire (pour quoi faire ?) : cet acte sort du cadre linguistique. L'énoncé provoque des effets (perturbations, changements) dans la situation de communication.

Ex. une question peut servir à interrompre, embarrasser, montrer qu'on est là …

 

Remarque 1 : à chaque niveau, l'acte peut être direct ou dérivé.

 

Locutoire : sens littéral→ sens dérivé.

Ex : j'ai mal au coeur = estomac.

 

IIlocutoire : acte primitif → acte dérivé.

Ex. il fait chaud ici = requête pour ouvrir la fenêtre.

Perlocutoire : la dérivation dépend de l'interprétation qu'en fait le destinataire.

 

Remarque 2 : la réussite ou l'échec de l'énoncé.

L'énoncé est réussi si le destinataire reconnaît l'intention conventionnellement associée à son énonciation. Pour ce faire, le destinataire s'aide de marqueurs non ambigus (univoques), de l'intonation et du contexte. À l'inverse, l'émetteur - pour réussir - doit se soumettre aux lois du discours que l'on peut résumer ainsi : « n'importe qui ne peut pas dire n'importe quoi, en n'importe quelles circonstances ».

 

Acte de langage / acte de parole (speech act) : Selon Austin, en énonçant une phrase quelconque, on accomplit trois actes simultanés :

– un acte locutoire (on articule et combine des sons, on évoque et relie syntaxiquement les notions représentées par les mots) ;

– un acte illocutoire (l'énonciation de la phrase transforme les rapports entre les interlocuteurs : j'accomplis l'acte de promettre en disant "je promets…", celui d'interroger en disant "est-ce que…?") ;

– et un acte perlocutoire (l'énonciation vise des effets plus lointains : en interrogeant

quelqu'un, je peux avoir pour but de lui rendre service, de lui faire croire que j'estime son opinion, ou de l'embarrasser, etc.). (Ducrot)

 

 


18/05/2019
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PRAGMATIQUE. Cours n°2 : De l’énoncé à l’énonciation

COURS POUR LES ETUDIANTS EN 3ème Année Licence Linguistique Amazighe (S6).

Module : PRAGMATIQUE.

Cours n°2 : De l’énoncé à l’énonciation

La linguistique de l’énonciation (Cours)
1-Définition :
L’énonciation est l’acte individuel de production, d’utilisation de la langue dans un contexte déterminé, ayant pour résultat l’énoncé.
L’énonciation est un acte de création.
Les deux termes s’opposent comme la fabrication s’oppose à l’objet fabriqué.
2-Historique :
Ce courant s’inscrit dans le prolongement de la grammaire structurale des années 60-70.
Le courant énonciatif approfondit les concepts mis en place dans les années 50 et 60 par le linguiste Emile Benvéniste.
3-Objectif
Ce courant s’efforce de tenir compte de la position de l’énonciateur, du locuteur dans la production d’un énoncé donné. La langue n’est plus considérée comme un objet inerte. Le linguiste a une conception dynamique de la langue qui n’est plus un simple puzzle mais une stratégie, un agencement conscient, réfléchi des diverses pièces de la langue.
« l’énonciation est cette mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation » E. Benvéniste, PLG, II, p80.
Nous avons distingué la phrase, entité linguistique de l’énoncé, ce qui est énoncé à l’écrit ou à l’oral en tenant compte du contexte et du co-texte.
4-Quelle est la différence entre l’énoncé et l’énonciation ?
« Enoncé » est un participe passé devenu substantif : ce qui est énoncé, passé avec valeur résultative. C’est le résultat de l’énonciation.
L’énonciation : le suffixe –ation marque l’action. C’est la prise en compte de l’acte et de la manière d’énoncer mais aussi la situation (temps, lieu..) et celui qui est à son origine : l’énonciateur.
La tâche du linguiste est alors sans limites : pour prendre en compte la situation, il peut étudier le kinésique : mimiques, mouvements, postures, gestes qui accompagnent l’énonciation. Il peut entrer dans des considérations psychologiques, sociales, historiques etc…
En linguistique on se bornera à étudier les marques de l’énonciation : tout ce qui dans le dit (ce qui est produit) dénonce du dire (ce qui est en train d’être signifié, dit).
5-Les embrayeurs et les déictiques :
Il existe dans le discours une série de termes par lesquels un locuteur se définit comme sujet. C’est le cas principalement de nombreuses unités de langue qui ne prennent sens qu’à l’occasion d’un acte particulier d’énonciation et qu’on a appelé embrayeurs :je, ici, maintenant (ego, hic, nunc).
Embrayeur : traduction française de l’anglais « shifter » de N. Ruwet emprunté à Jakobson.
To shift =changer de place.
5-1-Définition :
L’embrayeur met l’accent sur le lieu et l’objet de référence.
Le déictique met l’accent sur la façon de le référent situer dans l’espace.
Les embrayeurs et les déictiques constituent les aspects indiciels du langage.
« Je » et « ici » demandent que le locuteur soit connu
« Maintenant » demande que le temps de l’énoncé soit connu
Dans un énoncé, certains mots peuvent renvoyer à l’acte et aux circonstances d’énonciation :
Je viendrai ici demain
Paul partit là-bas le lendemain.
Dans le premier énoncé : chaque mot renvoie à l’énonciation.
Je = énonciateur
Viendrai + demain = futur par référence au moment où est énoncée cette phrase.
Ici = par référence à l’endroit où se trouve l’ énonciateur (je).
Dans le second énoncé, nous ne possédons aucun renseignement sur l’énonciation.
Ces mots font le lien entre l’énoncé et l’énonciation et n’ont de sens qu’en rapport avec les circonstances de l’énonciation.
Embrayer signifie couramment établir la communication entre les mots
Les embrayeurs peuvent être classés en 3 types ou repères :
-le repère subjectif
-le repère spatial
-le repère temporel
a) Les embrayeurs subjectifs :
a-1) Les pronoms personnels
a-2) Les pronoms possessifs
Il, elle, ils, elles sont représentants et anaphoriques.
Je, tu, nous, vous ne sont pas anaphoriques et ne sont pas commutables avec un nom (je viens n’est pas commutable avec *Paul vient) et entrent dans le cadre de l’énonciation.
b) Les embrayeurs temporels :
Il existe deux types d’embrayeurs temporels :
-certains temps verbaux
-certains adverbes ou groupes nominaux adverbiaux
b-1)-Les temps verbaux :
Le temps par excellence de l’énonciation est le présent.
Mais le temps de l’énonciation et le temps linguistique ne coïncident pas toujours :
Je suis absente cet après-midi
Temps de l’énonciation : quelques secondes
Temps linguistique : 4 ou 5 heures.
Seuls les verbes qui expriment l’acte au moment où celui-ci a lieu font coïncider temps de l’énonciation et temps linguistique : ce sont les verbes performatifs
Je te baptise
Je déclare la séance ouverte
Je vous nomme chevalier de la légion d’honneur
Les temps qui ont pour référence le moment de l’énonciation sont :
-le passé composé (marqueur d’antériorité)
-le présent
-le futur simple du présent (marqueur de postériorité)
b-2) Les circonstants temporels :
Hier, aujourd’hui, demain, maintenant qui ont pour repère le moment de l’énonciation. Contrairement à : ce jour-là, le lendemain, la semaine suivante…, qui ont pour repère le moment de l’énoncé.
Exemples :
Il se réveilla tard. La veille il avait fait la fête.
(« avait fait » et « la veille » marquent l’antériorité par rapport au passé simple : se réveilla, moment de l’énoncé)
Il est malade aujourd’hui. Hier, il a mangé des huîtres.
(hier et a mangé marquent l’antériorité par rapport à aujourd’hui, moment de l’énonciation).
c) Les embrayeurs spatiaux :
Les déictiques :
Certains linguistes utilisent le terme de déictique au lieu d’embrayeur. Le mot grec (deiktikos) signifie démonstratif et vient du substantif deixis, l’acte de montrer.
Toutefois il semble plus judicieux de garder l’appellation déictique pour les embrayeurs qui peuvent s’accompagner, de la part du locuteur, d’un geste de monstration. C’est le cas des démonstratifs.
c-1) Les démonstratifs et adverbes de lieu :
Viens ici.
L’adverbe de lieu renvoie au lieu où je me trouve en tant que locuteur. Je peux aussi joindre le geste à la parole.
Donne-moi ça.
Le pronom démonstratif –ça- désigne un objet se trouvant dans le lieu où se situe l’échange. Le geste peut aussi accompagner la parole.
Je peux dire : Donne-moi ça et ça et ça aussi.
Je ne peux pas dire : viens ici et ici et ici.
D’où le terme de déictique qui est le mieux approprié.
d) Les adverbes d’énonciation :
Ces adverbes sont incidents non à l’énoncé mais à l’énonciation.
Fonctionnement et rôle :
1-Il est gravement malade
2-Il marche lentement
3-Je suis très vivement intéressé.
4-Il est probablement chez sa cousine
5-Heureusement, il est arrivé à temps = si je parle franchement.
Dans les trois premiers énoncés, l’adverbe porte sur un élément dont il modifie le sens.
Dans l’énoncé 4, l’adverbe porte sur l’ensemble de l’énoncé.
Enoncé 5 : l’adverbe porte sur l’énonciation.
Lorsqu’on parle, on utilise fréquemment des adverbes d’énonciation ou des infinitifs prépositionnels qui ont la même valeur :
Honnêtement, sincèrement, vraiment, pour parler net,
Pour être franc,…
Ces adverbes représentent souvent le démarrage d’un raisonnement :
Si je dois être franc, honnête, dire la vérité…
Puisque tu me demandes d’être franc…
La position de l’adverbe a une incidence sémantique sur l’énoncé
Parmi les modalisateurs d’énoncé on peut ranger :
Sans doute, certainement, sûrement, selon moi, d’ailleurs…
Toutes les modalités de phrase sont porteuses de modalisations :
-la phrase interrogative
-la phrase injonctive
-la phrase exclamative
-la phrase déclarative
Ces opérations aident à comprendre qu’un énoncé ne peut être compris de façon isolée mais saisi au sein de tout un ensemble d’énoncés possibles qu’on peut retrouver par paraphrase et à l’intérieur desquels un choix d’énoncés est fait, et que commande la situation d’énonciation.
Lien URL :

 
ASL.UNIV-MONTP3.FR
 

18/05/2019
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Texte et écriture :Texte et types textuels par G. Spielmann

Texte et écriture:Texte et types textuels

par Dr. Guy Spielmann 

 

    Chaque jour, souvent sans y prêter attention, nous sommes en contact avec des dizaines, voire des centaines detextes, soit que nous les produisions nous-mêmes, soit que nous les utilisions pour nous informer, nous divertir, et accomplir les tâches les plus diverses.
    Cette familiarité tend à nous faire oublier que le texte ne va pas de soi, et que sa composition autant que sa lecture ne sont possibles qu'au prix d'un apprentissage et d'une expérience assez longs. 
     Pour une grande partie, les études, et tout particulièrement les études supérieures, sont consacrées à l'amélioration des capacités de l'étudiant à travailler avec et sur des textes. Nous sommes donc tous capables de reconnaître un texte lorsque nous en voyons un, mais le problème se complique lorsqu'il s'agit de comprendre et de définir avec exactitude ce qu'est un texte, et ce qui n'en est pas un—et ce qui distingue un «bon» texte d'un autre moins bon.

1. Au-delà de la phrase: discours, énoncé, texte

     Une vision «traditionnelle» voudrait que le texte soit composé de phrases, parfois regroupées en sous-ensembles comme le paragraphe (prose), la strophe ou la réplique (théâtre). Pour les linguistes, c'est la phrase formée par l'association d'un sujet et d'un prédicat qui a longtemps constitué l'entité maximale passible d'analyse, tout ce qui se situe au-delà n'étant pas, à leur avis, modélisable.
     Plus récemment s'est développée une branche des sciences du langage consacrée au discours, c'est-à-dire justement à tout ce qui dépasse le niveau de la phrase: la «grammaire du discours» cherche ainsi à déterminer les règles qui s'appliquent non à l'intérieur de la phrase, mais entre plusieurs phrases. La pragmatique, de son côté, s'intéresse à l'énoncé, c'est-à-dire au message linguistique considéré dans le contexte de sa production effective à un moment donné et en un lieu donné, et qui exprime le point de vue de l'émetteur (l'énonciateur) en fonction de celui du récepteur (l'énonciataire). Dans cette perspective, le discours est constitué par une séquence d'énoncés formant un tout autonome.
     Si toutefois le texte, en surface, se présente généralement sous une forme linéaire (une suite de phrases ou d'énoncés qui a un début et une fin supposant un ordre de lecture), il est possible de l'envisager à partir de sastructure profonde qui, elle, doit se concevoir hors du déroulement unidirectionnel qui se présente à nos yeux. A l'origine du texte, on doit ainsi postuler l'existence d'un système dont les unités sont non des phrases, mais des idées exprimées par des propositions, et liées par des relations virtuelles. C'est pourquoi le travail du texte—la lecture autant que la production—passe nécessairement par l'établissement d'un plan, c'est-à-dire par l'explicitation schématique de la structure.

 

Ces relations, représentées ici par des lignes fléchées en pointillés, représentent des possibilités de rapports entre les propositions (cause, conséquence, parallélisme, analogie, contradiction partielle ou totale, etc.) qui ne se matérialiseront pas toutes au niveau de surface du texte, où seul un agencement des propositions est possible (c'est la «disposition» de la rhétorique). Lorsque plusieurs agencements, et donc plusieurs ordres de lecture également valables sont possibles, on parle d'hypertexte.
     Dans le discours, ces relations se matérialisent souvent par des connecteurs syntaxiques (conjonctions de coordination et de subordination, adverbes et locutions adverbiales, etc), et des connecteurs textuels (formules de transition, d'anaphore, etc.).


ILLUSTRATION

Soient quatre propositions exprimables chacune par une phrase:

P: Le Général de Gaulle et le Chancellier Adenauer ont décidé d'unir leurs pays dans une alliance économique et politique.

P': En 1945, il a paru évident que la paix durable en Europe reposerait sur de bonnes relations franco-germaniques.

P'': La Realpolitik consiste à privilégier les solutions pratiques par rapport aux doctrines idéologiques.

P''': Les Français et les Allemands se sont combattus avec violence et tenacité au cours de trois guerres successives, en 1870-71, 1914-18 et 1939-44.

Ces quatre propositions peuvent former un texte car 1) elles sont toutes relatives à un même thème et 2) présentent entre elles des relations que l'on peut expliquer comme suit:

  • il existe une opposition entre P et P'''
  • il existe un rapport de conséquence entre P' et (et donc de cause entre P et P')
  • il existe un rapport d'antériorité entre P''', P' et P (et donc de postériorité entre P', P'' et P''')
  • il existe un rapport de généralisation entre P et P'' (et donc de spécification entre P'' et P)

Ces rapports, toutefois, n'imposent ni ne suggèrent un ordre linéaire particulier. On peut donc représenter la structure profonde de ce texte comme suit:

 

On peut alors obtenir un texte en mettant ces propositions dans un ordre approprié (avec éventuellement quelques modifications de morphologie et/ou de syntaxe) et en explicitant certaines des relations à l'aide de connecteurs syntaxiques ou textuels:

«Les Français et les Allemands se sont combattus avec violence et tenacité au cours de trois guerres successives, en 1870-71, 1914-18 et 1939-44. Cependant, en 1945, lorsqu' il a paru évident que la paix durable en Europe reposerait sur de bonnes relations franco-germaniques, le Général de Gaulle et le Chancellier Adenauer ont décidé d'unir leurs pays dans une alliance économique et politique.C'est là un bon exemple de Realpolitik, qui consiste à privilégier les solutions pratiques par rapport aux doctrines idéologiques.»

On peut obtenir d'autres textes en mettant ces propositions dans un ordre différent et à l'aide d'autres connecteurs syntaxiques ou textuels:

«La Realpolitik consiste à privilégier les solutions pratiques par rapport aux doctrines idéologiques,comme on a pu le voir lorsque le Général de Gaulle et le Chancellier Adenauer ont décidé d'unir leurs pays dans une alliance économique et politique, bien que les Français et les Allemands se fussent combattus avec violence et tenacité au cours de trois guerres successives, en 1870-71, 1914-18 et 1939-44. En 1945, en effet, il a paru évident que la paix durable en Europe reposerait sur de bonnes relations franco-germaniques.»


EXERCICE D'APPLICATION

Composez deux autres textes à partir des même quatre propositions, en prenant soin de respecter les relations spécifiées ci-dessus. Ce texte pourra être formé de plusieurs phrases, mais aussi d'une seule phrase complexe


2. Qu'est-ce qu'un texte?

     
On pourra commencer par la notion qu'il s'agit concrètement d'une série de mots avec un début et une fin identifiables par divers marqueurs visibles, dont les titres et intertitres, la ponctuation, les alinéas, les «blancs» et autres procédés de mise en page. Ainsi, en feuilletant un magazine, par exemple, on repère très rapidement, sans même les lire, les divers types de textes qui le composent (articles, publicités, etc.). Intuitivement, nous saisissons donc le texte comme une forme de l'expression; reste à déterminer si possible ce qui le caractérise quant à lasubstance.

 
     Pour comprendre ce qu'est un texte du point de vue de la substance, on peut s'imaginer une maison en bois (à gauche) et un tas de planches ou morceaux de bois (à droite) et se demander ce qui les distingue.
     Immédiatement, nous saisissons qu'il existe entre les deux une différence, bien que, d'une certaine manière, on puisse décrire l'un et l'autre comme un «ensemble de morceaux de bois»: mais, lorsque l'on cloue ou visse ensemble quelques morceaux de bois, à partir de quel moment peut-on dire que l'on a affaire à une 'maison', et non plus à un 'tas de bois'?
 

      Ce casse-tête philosophique très ancien est facile à résoudre dans le cas d'un texte, et même, en y réfléchissant un peu, dans le cas de la maison. 
      Le tas de bois, en effet, est un ensemble de matériaux bruts pouvant servir à construire toutes sortes de choses (une maison, un meuble, une palissade, un bâteau), mais qui, en tant que tel, ne remplit aucune fonctionparticulière, ne reflète aucune finalité précise et manifeste: même si l'on arrange les morceaux en fonction de leur taille ou de leur couleur, on ne changera pas le fait que le tas n'a, en soi, pas de fonction nécessitant une organisation spécifique. 
     Par ailleurs, le tas n'a aucune véritable forme: on peut rajouter ou enlever des morceaux de bois, les bouger, les rempiler différemment sans changer sa nature de 'tas'; c'est même cette indifférenciation du point de vue de la forme que signifie le vocable de «tas».
     Fonction, et forme caractérisent en revanche la maison, qui n'est donc pas simplement une variante du «tas de bois»: Entre eux, la différence est qualitative, non quantitative: il ne suffit pas d'accumuler des morceaux de bois pour constituer une maison.
     De la même manière, un texte ne se résume pas à une accumulation de mots , mais se caractérise à la fois par sa fonction et sa forme.

  • Fonction: le texte est la manifestation concrète et spécifique d'un discours, qui est lui-même la mise en œuvre d'une compétence abstraite (la langue). Les spécialistes s'accordent à reconnaître quatre ou cinq grandes fonctions discursives:

    1. Rapporter des événements, raconter une histoire: fonction narrative
    2. Faire une description, indiquer les caractéristiques d'un objet, donner des informations: fonctionexplicative/descriptive
    3. Développer un point de vue, une opinion, un jugement: fonction argumentative
    4. Donner des suggestions, des conseils, des ordres, indiquer une procédure à suivre: fonction injonctive

Traditionnellement, on parle de «types textuels» pour désigner les textes qui correspondent à chaque fonction. Cette dénomination est trompeuse, d'abord parce qu'il est rare qu'un texte donné ne réalise qu'une seule fonction, ensuite parce que cette typologie semble réductrice: on peut distinguer une dizaine de fonctions communicatives et, de toute évidence, il existe des textes correspondant à chacune de ces fonctions. On utilisera donc le terme de «type textuel» en référence à un ensemble de formes ayant en commun certaines caractéristiques fondamentales. 
Ainsi, le type «poème» subsumera des formes comme le sonnet, l'ode, l'idylle, le pantoum, le haïku, la ballade, le virelai, le poème en prose, etc. qui sont toutes caractérisées par deux fonctions dominante
s: exprimer (des sentiments, des idées) et manipuler le langage à des fins esthétiques.

  • forme: le texte possède—à la différence d'une simple accumulation de phrases—une unité, matérialisée par des éléments formels: par exemple, une introduction et une conclusion, des strophes ou des paragraphes. Ses composantes doivent fonctionner en synergie pour assurer cette unité. Théoriquement, un texte ne devrait pas comprendre de phrase qui peut en être retranchée sans que cette unité soit aucunement affectée, ou au contraire qui en compromet l'unité en ne participant pas à l'ensemble. Comme le corps a un squelette et la maison une charpente, le texte possède une structure propre, manifeste ou non. L'agencement des composantes y est soigneusement choisi pour assurer la clarté, l'efficacité, l'équilibre et l'harmonie de l'ensemble.

En fait, la forme d'un type textuel donné reste une notion abstraite—l'éidos platonicien—, et pour en déterminer les paramètre on se fie le plus souvent à un modèle (token) que l'on estime manifester le plus parfaitement cette forme (type). Ces textes «canoniques»—notion théologique, puis littéraire mais que l'on peut généraliser—permettent non seulement de déterminer ce qui relève ou non d'une forme donnée, mais d'élaborer une échelle de valeurs. Ainsi dans sa Poétique, Aristote s'appuie sur les tragédies de Sophocle pour établir à la fois ce qu'est une tragédie (par rapport à d'autres formes) et ce qui constitue une bonne tragédie. 
      Si une telle hiérarchie reste discutable, il n'en reste pas moins légitime de postuler que certains éléments formels se révèlent généralement plus efficaces que d'autres pour remplir une fonction donnée. À moins de vouloir obtenir un effet très insolite, on n'écrit pas une petite annonce pour vendre sa voiture comme on écrit une carte postale à sa tante, un devoir d'histoire pour son professeur, une lettre de motivation pour briguer un emploi, ou un article de journal. 
      Pour chaque fonction, on dispose de formes efficaces qui obéissent à des règles relativement précises. Toutefois, cette efficacité n'est pas immanente, puisqu'elle repose en grande partie sur l'attente du récepteur, et il est possible de subvertir les règles avec succès: paradoxalement, on tend à considérer comme les plus grands romanciers, poètes, dramaturges, etc. ceux qui ont «révolutionné» un type textuel en enfreignant les principes habituels de son élaboration.



3. De l'écriture au texte

Qu'est-ce qu'un «bon» texte?

     «Bien écrire» n'a pas beaucoup de sens, car on n'écrit jamais dans l'abstrait—sauf pour des exercices scolaires! En réalité, on écrit toujours des textes, qu'ils se composent de quelques mots ou qu'ils remplissent des centaines de pages. Il est donc important de toujours se souvenir que le processus d'écriture mène à un texte, dont on considèrera les fonctions et les qualités pour déterminer comment on peut  «mieux écrire».
     On peut toujours commencer par formuler le descriptif générique d'un texte de qualité optimale:

1. Le texte, qui ne comporte ni redites ni répétitions inutiles, est organisé selon une structureclaire, cohérente et efficace (quelle qu'elle soit), bien signalée par l'utilisation de la mise en page(paragraphes, alinéas) et de marqueurs textuels de transition (adverbes et locutions adverbiales notamment). 
2. Cette structure sert avec efficacité les fonctions du texte (descriptive, narrative, expressive, argumentative, injonctive), qui apparaissent manifestes au lecteur. 
3. Le niveau de langue (soutenu, normal ou familier) est approprié à ces fonctions. 
4. La syntaxe (construction des phrases) reflète une grande variété de forme: propositions indépendantes, coordonnées et subordonnées; usage de propositions subordonnées relatives, gérondives, infinitives. On note un emploi judicieux de la ponctuation, y compris les tirets et les parenthèses. A moins de rechercher un effet stylistique particulier, on recourt de préférence auxphrases complexes plutôt qu'à l'accumulation de phrases simples. 
5. Le vocabulaire (répertoire des mots utilisés) est à la fois varié et précis.
6. Dans les meilleurs cas, on notera une recherche stylistique pouvant aller de choix lexicaux délibérés à l'utilisation de figures (métaphores, litotes, zeugmes...), de périodes ou de cadences. 
7. La morphologie (accords de genre et de nombre, désinences des verbes, constructions prépositionnelles, contractions...) ne comporte aucune incorrection, sauf dans l'utilisation délibérée d'un niveau de langue familier.
8L'orthographe est également toujours correcte.

Remarquons que ce descriptif, pour la plupart, cherche à établir de manière positive les caractéristiques d'un bon texte, sauf dans le cas de l'orthographe et de la morphologie, dont la qualité se définit par l'absence d'erreurs, et donc de manière binaire (correct/incorrect)—il n'y a pas d'orthographe ni, généralement, de morphologie «meilleure» qu'une autre.
     Bien qu'un texte excellent soit forcément sans erreur, un texte sans erreur n'est donc pas forcément excellent.Le travail d'écriture—c'est-à-dire, presque toujours, de réécriture—s'accomplit dans la progression, qui ne se limite pas à éliminer les fautes, mais implique aussi de retravailler un texte déjà «acceptable» pour le rendre meilleur: plus clair, plus efficace, plus élégant...
     Améliorer la qualité de sa langue écrite demande donc un effort constant sur la longue durée; mais en dépistant systématiquement les erreurs et les points faibles les plus communs, en particulier ceux qui sont faciles à traiter «mécaniquement» (à l'aide d'un dictionnaire et d'un livre de grammaire si nécessaire), on parvient à atteindre rapidement un niveau de qualité «acceptable» ou «passable», palier obligé vers le bon, voire l'excellent.
 
     L'évaluation d'un texte donné pourra donc se faire par exemple sur une échelle à cinq niveaux (de l'excellent à l'insuffisant) appliqués à certains des critères ci-dessus. On donnera un coefficient supérieur aux critères proprement textuels—organisation, utilisation de la mise en page et de marqueurs—, de manière à ne pas privilégier les aspects les plus mécaniques et la «grammaire» (morphologie et syntaxe). Par ailleurs, on distinguera pour le vocabulaire et la syntaxe, la variété et la précision, afin de valoriser les efforts stylistiques sans négliger la correction: la variété implique une certaine prise de risque qui est ainsi récompensée, faute de quoi on risque de voir des textes utilisant de façons systématique un répertoire très limité mais très «sûr».
    La grille suivante, par exemple, permet d'obtenir un score numérique situé entre 12 et 60 points à partir de neuf critères distincts:

 

A - Excellent

B - Bon

C - Passable

D - Faible

F - Insuffisant

Texte organisé selon une structure claire, cohérente et efficace

15 pts

12 pts

9 pts

6 pts

3 pts

La structure est soulignée par l'utilisation de la mise en page et de marqueurs textuels (transitions)

10 pts

8 pts

6 pts

4 pts

2 pts

Les fonctions du texte et/ou son type sont manifestes pour le lecteur

5 pts

4 pts

3 pts

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1 pt

Le vocabulaire est varié

5 pts

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Le vocabulaire est précis

5 pts

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La syntaxe est variée

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La syntaxe est précise

5 pts

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1 pt

La morphologie est précise

5 pts

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L'orthographe est correcte.
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4 pts
3 pts
2 pts
1 pt
TOTAL entre 12 et 60 points          


Construire un texte
     Un proverbe populaire affirme qu'«Il ne faut pas courir avant d'avoir appris à marcher». Dès notre plus jeune âge, nous sommes exposés, en tant que récepteurs, à des textes très complexes, dont la familiarité peut nous induire à croire que nous pouvons à notre tour, spontanément, en produire de la même qualité. Dans la grande majorité des cas, il n'en est rien, et nous devons, patiemment, apprendre à construire des textes progressivement plus complexes, à la fois en apprenant des règles qui nous sont données, mais aussi par imitation. Le pastiche, qui consiste à écrire «à la manière de», est un excellent exercice qui permet de prendre conscience des particularités de chaque écriture, ce qu'on appelle communément le «style», afin de développer son style propre.

      Chez l'apprenant adulte de langue étrangère, la tentation est particulièrement forte de brûler les étapes pour tenter de produire dans la langue-cible des textes de complexité comparable à celle dont il est capable dans sa langue maternelle. C'est une grave erreur. En effet, on évite alors rarement le problème du calque, c'est à dire la transposition de structures (syntaxiques, morphologiques, sémantiques...) propres à une langue dans une autre, où elles ne fonctionnent pas du tout, ou pas de la même manière. Il vaut toujours mieux partir d'éléments «sûrs», relativement simples, dont vous savez qu'ils sont corrects parce que vous en avez déja vu ou entendu des exemples, et que vous allez combiner pour obtenir un résultat original, plus complexe, mais toujours assez peu «risqué». 
     Lorsque vous avez conçu une première version de votre texte, reprenez-la pour identifier les sources d'erreur—même un locuteur natif en commet, ne serait-ce que par inattention—et les aspects à améliorer. Plusieurs relectures focalisées seront sans doute nécessaires (une pour le sens, une autre pour l'orthographe, une pour la morphologie...), et en fait préférables à une relecture globale.

 

par Dr. Guy Spielmann © 2008.

 

Lien : http://faculty.georgetown.edu/spielmag/docs/txt/letexte.htm


09/04/2016
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La pragmatique par Armengaud Françoise

La pragmatique

par Armengaud Françoise, chapitre « Introduction »,  La pragmatique, Paris, PUF, «Que sais-je ?», 2007, [pp. 3-14].

« La pragmatique est à la base de toute la linguistique. »

Rudolf Carnap.

2

La pragmatique est d’abord une tentative pour répondre à des questions comme celles-ci : Que faisons-nous lorsque nous parlons ? Que disons-nous exactement lorsque nous parlons ? Pourquoi demandons-nous à notre voisin de table s’il peut nous passer l’aïoli, alors qu’il est manifeste et flagrant qu’il le peut ?Qui parle et à qui ? Qui parle et avec qui ? Qui parle et pour qui ? Qui crois-tu que je suis pour que tu me parles ainsi ? Qu’avons-nous besoin de savoir pour que telle ou telle phrase cesse d’être ambiguë ? Qu’est-ce qu’une promesse ? Comment peut-on avoir dit autre chose que ce que l’on voulait dire ? Peut-on se fier au sens littéral d’un propos ? Quels sont les usages du langage ? Dans quelle mesure la réalité humaine est-elle déterminée par sa capacité de langage ?

3

On trouve des considérations pragmatiques chez deux types de penseurs. En premier lieu chez ceux qui s’attachent à la détermination de la vérité des phrases et qui butent, s’agissant du langage de tous les jours et des phrases de ce que l’on appelle les « langues naturelles », sur des obstacles comme la présence d’un « je » ou d’un « tu » qu’il faut d’abord identifier pour déterminer le sens. Ils rencontrent comme un écran tout le rôle joué par le contexte d’échange des propos dans l’élaboration du contenu significatif. Ce sont à des degrés divers les logiciens philosophes : Frege, Russell, Carnap, Bar-Hillel, Quine. Ils abordent la dimension pragmatique, c’est-à-dire la prise en compte des locuteurs et au contexte,comme quelque chose qu’il convient de maîtriser, soit que la langue canonique de la science doive s’en écarter (Frege, Carnap), soit qu’il faille la résorber par élimination ou embrigadement (Russell, Quine), soit qu’il faille la traiter, parfois avec l’astuce d’un judoka (Montague, Gochet).

4

En second lieu, des réflexions voisines de la pragmatique apparaissent chez ceux qui depuis toujours se sont intéressés aux effets du discours sur les locuteurs-auditeurs : sociologues, psychothérapeutes, spécialistes de la rhétorique, praticiens de la communication, linguistes de l’analyse du discours : Perelman, Ducrot, Bourdieu, Kerbrat, Watzlawick et al. Ils sont fort proches généralement de l’une des sources de la pragmatique. La maxime pragmatiste de Peirce dit bien que la production triadique de la signification est orientée vers l’action, et que l’idée que nous nous faisons des choses n’est que la somme des effets que nous concevons comme possibles à partir de ces choses.

5

Il y a enfin une autre catégorie de théoriciens. Ceux qui d’emblée lient la signification d’un mot ou d’une phrase à son usage (Wittgenstein, Strawson). Qui ont fait du langage ordinaire leur jardin des délices pour de subtiles analyses (Austin, Searle). Ou qui voient dans la pragmatique l’instrument technique adéquat pour étayer le renouvellement d’une philosophie transcendantale de la communication (Apel, Habermas) ou de la relation interlocutive (Jacques). C’est pour ces derniers que la pragmatique est quelque chose de central et d’essentiel.

6

Mais la pragmatique elle-même, comment la définir ?

7

La plus ancienne définition est celle donnée par Morris en 1938 : la pragmatique est cette partie de la sémiotique qui traite du rapport entre les signes et les usagers des signes. Définition très vaste, qui déborde le domaine linguistique (vers la sémiotique) et le domaine humain (vers l’animal et la machine).

8

Une définition linguistique est donnée par Anne-Marie Diller et François Récanati : la pragmatique « étudie l’utilisation du langage dans le discours, et les marques spécifiques qui, dans la langue, attestent sa vocation discursive ». Selon eux, comme la sémantique, la pragmatique s’occupe du sens. Elle s’en occupe pour certaines formes linguistiques telles que leur sens n’est déterminable que par leur utilisation.

9

Une définition intégrante apparaît sous la plume de Francis Jacques : « La pragmatique aborde le langage comme phénomène à la fois discursif, communicatif et social. » Le langage est conçu par elle comme un ensemble intersubjectif de signes dont l’usage est déterminé par des règles partagées. Elle concerne« l’ensemble des conditions de possibilité du discours ».

10

Comment le point de vue pragmatique est-il apparu ?

11

L’étude des signes et du langage au xxe siècle s’est distribuée de la manière suivante :

12
  • l’approche sémantique traite de la relation des signes, mots et phrases aux choses et aux états de choses ; c’est l’étude conjointe du sens, de la référence et de la vérité ;

  • l’approche syntaxique étudie les relations des signes entre eux, des mots dans la phrase ou des phrases dans les séquences de phrases ; on cherche à formuler des règles de bonne formation pour les expressions, et des règles de transformation des expressions en d’autres expressions ; le respect de ces règles est une condition pour que les fragments ainsi générés soient pourvus de sens, et, éventuellement, aptes à être doués d’une valeur de vérité (vrai ou faux).

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Or ces deux approches, les premières constituées en disciplines rigoureuses, n’épuisent ni le problème du sens ni le problème de la vérité. Une troisième approche est nécessaire : pragmatique. Elle intervient pour étudier la relation des signes aux usagers des signes, des phrases aux locuteurs.

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Les concepts les plus importants de la pragmatique ? Ce sont justement des concepts qui étaient jusqu’ici absents de la philosophie du langage et de la linguistique, délibérément négligés pour isoler d’autres aspects que l’on souhaitait d’abord étudier. Ces concepts sont :

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  1. Le concept d’acte : on s’avise que le langage ne sert pas seulement, ni d’abord ni surtout, à représenter le monde, mais qu’il sert à accomplir des actions. Parler, c’est agir. En un sens obvie : c’est par exemple agir sur autrui. En un sens moins apparent mais tout aussi réel : c’est instaurer un sens, et c’est de toute façon faire « acte de parole ». Ce concept d’acte est orienté vers les concepts plus justes et plus englobants d’interaction et de transaction.

  2. Le concept de contexte : on entend par là la situation concrète où des propos sont émis, ou proférés, le lieu, le temps, l’identité des locuteurs, etc., tout ce que l’on a besoin de savoir pour comprendre et évaluer ce qui est dit. On s’aperçoit combien le contexte est indispensable lorsqu’on en est privé, par exemple lorsque des propos vous sont rapportés par un tiers, à l’état isolé ; ils deviennent en général ambigus, inappréciables. Inversement le langage scientifique mais aussi le langage juridique se sont toujours efforcés de faire passer dans leurs « propos » – qui sont le plus souvent des textes écrits – toutes les informations contextuelles nécessaires à la bonne compréhension de ce qui est formulé.

  3. Le concept de performance : on entend par performance, conformément au sens originel du mot, l’accomplissement de l’acte en contexte, soit que s’y actualise la compétence des locuteurs, c’est-à-dire leur savoir et leur maîtrise des règles, soit qu’il faille intégrer l’exercice linguistique à une notion plus compréhensive telle que la compétence communicative.

16

Pour donner une idée de l’aspect novateur et même polémique de la pragmatique, on dira qu’elle remet en cause un certain nombre de principes sur lesquels reposait la recherche antérieure :

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  • la priorité de l’emploi descriptif et représentatif du langage ;

  • la priorité du système et de la structure sur l’emploi ;

  • la priorité de la compétence sur la performance ;

  • la priorité de la langue sur la parole.

18

Dans cette mesure on comprend que la pragmatique, faisant appel de la décision épistémologique de Saussure d’écarter du champ linguistique la parole comme phénomène purement individuel, prenne la relève du point de vue structuraliste, tout comme elle prend la relève de la grammaire chomskienne qui a déçu les espoirs démesurés placés en elle.

19

Par contre la pragmatique prolonge une autre linguistique : la linguistique de l’énonciation inaugurée par Benveniste. La distinction majeure ne passe plus entre langue et parole, mais entre l’énoncé, entendu comme ce qui est dit, et l’énonciation, l’acte de dire. Cet acte de dire est aussi un acte de présence du locuteur. Et cet acte est marqué dans la langue : en instituant une catégorie de signes mobiles et un appareil formel de l’énonciation, le langage permet à chacun de se déclarer comme sujet. Est-ce suffisant ? On le verra au chapitre V.

20

La pragmatique n’a rien d’une discipline introvertie. Ses concepts s’exportent en plusieurs directions. Non seulement elle « fait éclater le cadre des écoles linguistiques traditionnelles », comme le souligne le linguiste grammairien Maurice Van Overbeke, mais elle intervient dans des questions classiques internes à la philosophie ; elle inspire des philosophies ; et elle est sans doute appelée à renouveler puissamment la théorie de la littérature.

21

Les questions philosophiques sur lesquelles la pragmatique jette sa lumière exigeante et neuve ? On en dénombre au moins six :

22
  1. La subjectivité. Qu’est-ce qui change dans la conception du sujet quand on le considère avant tout comme locuteur et, mieux encore, comme interlocuteur, quand on l’approche non plus à partir de la pensée mais à partir de la communication ?

  2. L’altérité. La question dite « d’autrui » est saisie à partir de l’interlocution. L’autre est celui avec qui je parle, ou ne parle pas. Avec qui je me situe dans une communauté de communication.

  3. Le « cogito » cartésien. « Je pense » est toujours vrai chaque fois que je le prononce. Vrai d’une nécessité pragmatique. Sa contradictoire est pragmatiquement toujours fausse, absurde. Si je dis : « Je n’existe pas », le fait même de l’énonciation contredit le contenu de l’énoncé.

  4. La déduction transcendantale des catégories chez Kant. Il s’agit d’établir la valeur objective des principaux types de synthèse de la pensée, dont l’usage objectif est réglé par des principes. Le point de vue pragmatique amène à prendre en considération non seulement l’aspect proprement « langagier » de cette déduction mais, de plus, l’aspect délibératif de la mise au point intersubjective de ce qui compte comme grandes questions au sujet du monde.

  5. Cet aspect délibératif s’exprime de la façon la plus nette dans les grandes controverses qui jalonnent l’histoire des sciences.

  6. Le thème pragmatique peut être mis au fondement même de la logique.La logique retrouve là ses sources grecques.

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Maintenant, faut-il dire la ou les pragmatiques ? Une discipline ? Ou un confluent de disciplines diverses ? Recherche en plein essor, la pragmatique n’est pas encore véritablement unifiée. Le consensus n’est pas encore installé entre les chercheurs quant à sa délimitation, quant à ses hypothèses ni même quant à sa terminologie. On voit presque trop bien, par contre, à quel point elle constitue un riche carrefour interdisciplinaire pour linguistes, logiciens, sémioticiens, philosophes, psychologues et sociologues. Le régime de croisière est celui des rencontres et des dispersions.

1. Des interprétations multiples

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Certains, dans le mot pragmatique, entendent surtout « praxis ». La pragmatique devrait s’assigner pour tâche l’intégration du comportement langagier dans une théorie de l’action. D’autres la conçoivent comme concernant essentiellement la communication, voire toute espèce d’interaction entre les organismes vivants. Pour d’autres encore, elle doit traiter principalement de l’usage des signes. C’est l’optique d’un de ses fondateurs : Morris. Pour d’autres enfin elle est la science de l’usage linguistique en contexte, ou plus largement de l’usage des signes en contexte. Ce dernier concept est d’ailleurs si important que Max Black proposait de rebaptiser d’après lui la pragmatique : elle devrait s’appeler la « contextique » !

2. Des genèses multiples

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Dans la lignée Peirce-Morris-Carnap et Morris-Sebeok, et dans la lignée Mead-Morris et Mead-Bateson, la pragmatique apparaît comme l’une des composantes de la sémiotique et revêt un aspect essentiellement empirique et naturaliste. Par contre, à partir de Bar-Hillel, elle entre dans l’ère de la formalisation. La constitution d’une pragmatique logique et formelle est amorcée. Ce n’est pas tout. La pragmatique recueille l’héritage, cela fut dit, de la linguistique de l’énonciation. Et enfin, last but not least, elle a derrière elle l’ensemble des acquis du mouvement analytique en philosophie et, de manière plus directe et plus apparente, l’analyse du langage ordinaire.

26

La pragmatique est née et a grandi de diversifications et d’unifications successives. Aujourd’hui encore son unité n’est pas assurée, et plusieurs voies sont en compétition ou mieux en débat constructif.

3. Des domaines multiples

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Il convient de reconnaître deux clivages principaux, qui n’ont guère de recoupements entre eux :

28
  • premier clivage :

    premier clivage :

    • la pragmatique des langues formelles, et

    • la pragmatique des langues naturelles ;

  • second clivage, entre

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a) une pragmatique des modalités d’énonciation, dont la création est jalonnée par les jeux de langage de Wittgenstein, le concept austinien de force illocutoire, le concept d’acte de langage chez Searle,

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b) une pragmatique des modalités d’énoncé, ou sémantique indicielle, élargie aux mondes possibles (Montague, Hintikka, Gochet).

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Des tentatives d’unification sont en cours. Elles émanent de Stalnaker (articulation de trois théories : actes de langage, présuppositions, mondes possibles), de Gazdar, de Jacques (qui infléchit celles déjà réunies par Stalnaker et leur ajoute la théorie des jeux de stratégie). Searle et Vanderveken travaillent à une logique illocutionnaire dont l’ambition formelle et intégrative est considérable. L’élargissement de la théorie provient aussi de décisions épistémologiques originales, comme celle de Jacques plaçant à l’origine de la signifiance la relation interlocutive elle-même. C’est alors que la pragmatique peut devenir l’étude des rapports les plus généraux entre l’énoncé et l’interlocution.

4. De multiples controverses internes

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Elles touchent au statut de la pragmatique, à sa cohérence, voire à son existence autonome. On peut répartir comme suit les termes de ces mises en question :

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  • Hétérogène ou unifiée ? La pragmatique est-elle un domaine hétérogène, un fourre-tout où l’on entreposerait les problèmes qui n’ont pu encore être traités en syntaxe ou en sémantique, essentiellement les problèmes d’usage linguistique ? Ou, compte tenu de ses réalisations, peut-on concevoir une pragmatique unifiée ? C’est le vœu de Stalnaker, Gazdar, Jacques, Parret, Gochet.

  • Intégrée ou autonome ? Elle peut être intégrée de deux façons :

    Intégrée ou autonome ? Elle peut être intégrée de deux façons :

    • soit réduite à la sémantique ; ainsi chez Katz (1972) la pragmatique se confond purement et simplement avec la théorie de la performance sémantique ;

    • soit intégrée comme partie de la sémiotique tridimensionnelle, ce qui est conforme à son acte de naissance.

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La question devient :

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  • Intégrée ou intégrante ? Si l’on parvient à décrire une véritable compétence pragmatique (à l’instar des compétences syntaxique et sémantique), l’on décrira aussi les conditions de possibilité de la communication. Et, si l’on cesse de concevoir la pragmatique comme un domaine empirique, elle n’a plus à craindre d’être résiduelle ou intégrée. Elle devient intégrante ou fondatrice. Alors que la pragmatique est chronologiquement la dernière-née des trois disciplines sémiotiques, ses thèses ne cessent de refluer sur celles de disciplines plus tôt mûries, dont l’autonomie peut paraître désormais fragile.

  • Conception minimaliste ou maximaliste ? L’option minimaliste fait de la pragmatique une simple composante empirique, hétérogène, résiduelle. L’option maximaliste conçoit la pragmatique comme base intégrante de la théorie linguistique : une discipline en partie formelle, unifiée, fondatrice. Parmi les tenants de la position minimaliste, davantage de linguistes, de grammairiens, de sémanticiens, de « littéralistes ». Parmi les tenants de la position maximaliste, davantage de logiciens et de philosophes, pour la plupart des « contextualistes ».

36

La pragmatique a suffisamment prospéré pour être tentée d’oublier ses origines. Contre la mémoire courte, j’ai voulu rappeler ce qui était dû aux fondateurs : Peirce, Frege, Morris, Wittgenstein, Bar-Hillel. Contre la mémoire partielle, j’ai tenu à signaler ce qui était dû à l’initiative des philosophes logiciens. Sans présenter une théorie originale de la pragmatique ni tenter une difficile synthèse, le présent ouvrage voudrait offrir quelques repères utiles, de manière aussi large que possible. En montrant d’abord comment les concepts se sont formés dans les pays anglo-saxons. En donnant ensuite un aperçu de la mise en évidence de leur portée philosophique dans les pays continentaux.

Plan de l'article

    1. 1. Des interprétations multiples
    2. 2. Des genèses multiples
    3. 3. Des domaines multiples
    4. 4. De multiples controverses internes

Pour citer ce chapitre

Armengaud Françoise, « Introduction »,  La pragmatique, Paris, Presses Universitaires de France , «Que sais-je ?», 2007, 128 pages 

 

URL : www.cairn.info/la-pragmatique--9782130564003-page-3.htm.

 

 


09/04/2016
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La pragmatique

La pragmatique

Mise à jour le 03 avril 2016

 

Enseignant responsable de l’UEF 1 : Said CHEMAKH

 

 

Crédits : 2

 

Coefficient : 2

 

Volume horaire total : 21h (soit 1h1/2 par semaine).

 

Lieu et horaire :

 Amphi 207, (Nouveau Bloc), Hesnaoua, Université Mouloud Mammeri de Tizi-Ouzou.

Les mardis de 14h à 15h30

 

Structure : Département des Langue et Culture Amazighes.

 

Domaine(s) LMD : Lettres, Langues, Communication et Linguistique.

 

Semestre : Licence (Option : linguistique amazighe)- semestre 6

 

Type : Obligatoire

 

Contenu :

La   pragmatique est une branche de la linguistique. Cette discipline s'intéresse « aux éléments du langage dans la mesure où leur signification ne peut être comprise qu'en connaissant le contexte où ils sont employés  ».       


07/04/2016
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