L’ETHNOCIDE TOUAREG CONTINUERA-T-IL ? (I) (Juillet 1991).
L’ETHNOCIDE TOUAREG CONTINUERA-T-IL ?
(Juillet 1991).
Par Said Chemakh
C'est dans la matinée du 8 avril 1991 que nous sommes arrivés l'aéroport de Tamanrasset. Notre mission s'est constituée à Tizi-Ouzou vers fin du mois de mars1 lors de la semaine culturelle organisée par l'association "IDLES" et l'association targuie "Serhu n Kel Tamacheq" à Tizi-Ouzou. Elle avait pour but la connaissant du drame des Touareg réfugiés le long des frontières algériennes après les événements que vient de connaître le Nord du Mali et du Niger depuis l'été 1990 2.
Avant de décrire la "révoltante" vie que mènent ces "Kurdes d'Afrique du Nord", il conviendrait de rappeler les connaissances générales déjà acquises sur ces "Imazighen du Sahara" que la littérature écrite des auteurs en mal d'exotisme présente sous le nom des "Hommes bleus" ou de "Seigneurs du désert"...
Des conceptions muséographiques et folkloriques développées à travers les "guides" des agences touristiques soutenues par la presse des différents Etats Nations où se trouve écartelé le peuple touareg qui traverse une phase décisive de son histoire. Et les choix ne sont pas nombreux :
- soit les Touareg acceptent l'assimilation pure et simple proposée par les différents Etats riverains du Sahara ;
- soit parvenir à s'organiser rapidement et résister à l'éthnicide perpétré par ces mêmes Etats et prendre sa destinée en main...
Toutefois, avant d'entamer le vif du sujet, faisons une incursion dans l'Histoire des Touareg.
A l’origine, il y avait…
Si les sources historiques ne fournissent pas des données très précises sur l'origine des Touareg du Sahara, il est cependant possible de passer en revue les résultats de l'anthropologie et les mentions collectées à travers la tradition orale targuie.
L’étude des gravures rupestres et des tumulus appelés "idebnan" (singulier adebni) permet d'avoir une image assez de la vie au Sahara à l'époque préhistorique. Les travaux menés voilà plus demi-siècle concernant cette période ont abouti schématiquement aux résultats suivants : durant la période paléolithique qui a duré de -60 000 à -50 000 ans, la bordure de massif du Hoggar était recouverte de forêts et de grands lacs, mais aucun squelette ne permet d'imaginer l'homme primitif qui y vivait.
Une catastrophe climatique change l’aspect du Sahara après 400 000 ans.
Après que la désertification ait pris fin et qu'une grande pluviométrie ait repris vers -10 000, l'homme réapparut dans le Sahara central. C'était un négroïde qui a sans doute connu l'invasion d'hommes blancs venus du Nord à cheval. Ces derniers furent les auteurs des gravures rupestres et des inscriptions libyco-berbères. Vers 20 000, le climat évolua vers un type désertique. Cette évolution s'est poursuivie pour atteindre le stade actuel. De l'industrie de poteries connue durant le néolithique, les populations sahariennes composées de pasteurs passèrent à l'industrie de pièces de bronze et de fer. C'est peut-être à cette période (-1000 à -800) que les chars des Garamantes4 furent utilisés pour la traversée du Sahara vers le Nil 5.
Revenons aux sources égyptiennes. Celles-ci signalent qu'un peuple nomade, ayant habité l'Ouest de l'Egypte, connu sous le nom de Lebou, et qui était combattu par les pharaons lors de leurs tentatives d'invasion des terres du Nil. Pendant le Bas Empire, deux dynasties (la XXIIe et la XXIIIe) étaient d’origine libyenne. Toutefois, c'est l'historien grec Hérodote qui citera les noms des tribus composant ce peuple : les Garamantes, les Maxyes... Noms qui seront par la suite rapportés par les sources latines. Ces données linguistiques et anthropologiques convergent vers une thèse : les Lebous sont les ancêtres des Touareg.
Revenons aux sources arabes du Moyen Age6, c’est bien Ibn Hawqal qui nous livre les premières informations sur du "Berbères du Sahara Central" et du ‘Soudan", après un voyage au Niger 961 à 977. De même, El Bekri évoque ces peuples sahariens vers 1067 alors qu'El Idrissi rapporte des informations seconde main (1154). Il fallait attendre le XIVe siècle,- pour qu'Ibn Battuta décrive le Niger et ses habitants, et qu'lbn Khaldoun (1332-1406) écrive son "Histoire des Berbères"- pour avoir d'excellents renseignements : « ... Les Senhadja du désert étaient aie composés de plusieurs groupes : les Lemtas, les Lemtunas, les Messufa, les Godala et les Howwara, ces derniers auraient donné leur nom au massif Hoggar » (Ihewwaren Iheggaren). Le nom de ces populations voilées (mulathim pouvait être rapproché de "Kel Tamoust" de la tradition targuie. Les Touareg auraient alors fondé les villes de Essouk (Niger) et Tombouctou (Mali). Certains nomades, dans le Sud marocain, ont fondé le mouvement almoravide sous la direction des Lemtunas.
Si les liens entretenus entre les Berbères du Nord et les Touareg ont commencé
à se rompre avec l'apparition des Zénètes nomadisant dans les steppes nord-africaines, ces liens le furent définitivement après l'arrivée des tribus nomades arabes (Hillaliens, Riyah...) chassées d'Egypte par les Fatimides pour punir les royaumes berbéro-musulmans des Zirides, des Hammadites qui s'étaient proclamés indépendants par rapport au Caire.
L'Histoire des Touareg se tourna alors au Sud, vers le pays du Soudan. Du XIIe au XIVe siècle, les Touareg nomadisant dans le Sud se heurtaient aux Songhay. Ces derniers, sédentaires et organisés en royaume, occupèrent alors Gao7 et Tombouctou, et tentèrent même de pénétrer dans l'Adrar des Ifoghas et dans l'Aïr. Au XVIe siècle, les Touareg furent utilisés dans l'armée Songhay luttant contre l'expansion des rois marocains, Moulay Mohammed et son frère Abou Abbas Ahmed. Ce dernier, ayant vaincu les Songhay, occupa Gao en 1591. Les chefs de l'armée marocaine, installés à Tombouctou et Gao, se proclamèrent indépendants en 1620. Par une politique d'alliances, ils furent intégrés dans société targuie ; c'est après cette période que les Touareg organisèrent leur espace, en fonction des confédérations qui demeureront jusqu'au XXe siècle.
Au début du XIXe siècle, les Peulhs Macina se battirent contre les Touaregs et occupèrent Tombouctou en 1826. Puis les Kounta entamèrent une lutte contre Touareg et Peulhs. Ces derniers, à leur tour, furent battus par les Toucouleurs 1863, qui avaient déjà combattu les Français occupant le Sénégal. Les Toucouleurs voulurent occuper le fleuve Niger, mais déjà les troupes français remontaient vers le Nord du Sahel.
Avant d'entamer l'Histoire de la domination française du pays Touareg,
convient d'étudier la société targuie telle qu'elle fut connue à la fin du XIXe siècle.
La société targuie :
Les Touareg se désignent eux-mêmes par le terme de "Kel-Tamacheq" (ceux qui parlent le tamacheq) ; ce terme dont la racine berbère est MH£ varie dans parlers touareg en MC£ (Mali), MJ£ (Niger) et MZ£ (Algérie). Sur les Kel Tamacheq, de nombreux travaux recherche ont été entrepris et analysés dans les "Etudes Touarègues" 8.
L'organisation traditionnelle de cette société est une grande échelle horizontale sur laquelle repose une pyramide dans laquelle se structurent : tribus nobles, castes ou tribus agrégées a tribus nobles, et esclaves - ceci en aile de haut en bas.
Avant de présenter l'organisation de façon explicite, il faudrait signaler ce que rapporte la tradition orale targuie concernant leur origine :
"... Avant l'arrivée des Touareg au Hoggar, une population dite "Issabaten" y
habitait... A un temps très récent, deux femmes du Tafilalt (Sud marocain) entreprirent la traversée du désert : ce sont Tin Hinan, une noble, et Takama, sa servante. Elles marchèrent beaucoup à travers le Sahara. Lorsque leurs provisions de dattes furent épuisées, Takama découvrit des grains emmagasinés sous terre par des termites. Ces grains leur servirent de nourriture jusqu'à leur arrivée à Abalessa où elles s'installèrent. Tin Hinan donna naissance à une fille, Kella, de laquelle descend la tribu noble des Kel Rela, tandis que Takama enfanta deux filles : ancêtres des Dag Rali et Aït-Loayen, tribus vassales des Kel Rela. C'est ainsi que commence l'Histoire des Kel Ahaggar..."
Le tombeau et le squelette de Tin Hinan furent découverts en 1925 à Abalessa. Selon les travaux de Gabriel Camps3, Tin Hinan aurait vécu vers 440 après J.-C. Le récit de Tin Hinan fut romancé par Pierre Benoît qui fit de l'ancêtre des Touareg la reine blanche d'un continent disparu : l'Atlantide.
Ces éléments de la tradition orale nous renvoient à l'ancienneté de l'organisation sociale targuie, qui ne ressemble guère à la société féodale du Moyen-Age européen. Pour clarifier ces propos, il conviendrait de présenter chaque groupe ou tribu de l'organisation et les rapports qu'il entretient dans la structure.
a- Les nobles ou Iheggaren, Ce sont les détenteurs du pouvoir politique et économique. Ils sont les détenteurs des pâturages. C'est parmi eux qu'est choisi le chef politique : amenokal.
b- Les vassaux ou Imghad. Ce sont les tribus "adoptées" par la tribu noble. Elles restent périphériques au pouvoir de commandement gêner de la tribu. Contrairement aux tribus nobles, les Imghad ne participent pas ai guerres (exception faite pendant l'occupation française). Les Imghad payaient un tribut aux nobles.
c- Les forgerons ou Inaden. Ce sont des groupes spécialisés, de familles restreintes d'artisans ou d'ouvriers polyvalents. Ce sont essentiellement des forgerons dont les femmes travaillent le cuir. Ils jouissent de la liben de travailler, de se déplacer...
d- Les religieux ou Ineslemen. Ce sont des tribus religieuses jouissant d'attributions sacrées. Les Inselemen s'occupent uniquement de la gestion d culte et sont consultés par l'amenokal.
e- Les esclaves ou Iklan. Ils sont issus des razzias et de nombreuses guerres ayant opposé le Touareg aux autres ethnies noires africaines, ou achetés des marchés d'esclaves de Gao, de Hombori au XVIIe siècle. La société targuie les a intégré comme bergers ou domestiques.
Etant de nature matrilinéaire, la société targuie accorde une place importante à la femme. Jouissant de cette liberté, la femme targuie, tout en s'occupant de l'éducation des enfants, est consultée par son mari dans les décisions à prendre. De même, se consacrant essentiellement à la culture et à la tradition, elle en est la représentante : ce qui lui confère le rôle d'enseignante de l'Histoire et de la langue tamacheq.
La société targuie a un système économique reposant essentiellement sur l'élevage extensif vu le nomadisme de; populations. Cet élevage permet de répartir les risques et de s'adapter à de nouvelles situations (sécheresses...).
Pour se faire, les Touareg ont eu à élaborer une stratégie consistant à :
- Se déplacer judicieusement de façon empêcher les surpâturages, et ceci en fonction des saisons ;
- Gérer rigoureusement les troupeau (ventes, abattages...) ;
- Organiser la cueillette et la chasse.
Toutefois, les Touareg sont aussi négociants. C'est ainsi qu'ils mirent au point
un réseau commercial à travers une air géographique immense. En effet, le long des siècles, les Touareg avaient main tenu des échanges entre le Nord de l'Afrique et le Sahel, entre l'Est d Sahara et son Ouest. Certaines confédérations exigeaient des caravaniers de payer un droit de passage sur leur territoire.
Enfin, les Touareg se permettaient d'acheter des terres, de prélever des impôts, de passer des contrats de métayage avec les paysans du Sud sur leurs exploitations.
C'est ainsi que les confédérations targuies vivaient avant le choc colonial du XXe siècle.
La domination française 9
Ayant déjà conquis le Sénégal, les troupes françaises avancèrent vers
Nord du Sahel tandis que d'autres achevaient la conquête des oasis sahariennes. Les premiers contacts entre Touareg et troupes françaises furent diplomatiques : ils eurent lieu à Timasinin (160 km à l'Est de Ouargla). Cheikh Othmane (frère de Hadj Ahmed, amenokal de l'Ahaggar) fit même un voyage à Paris pour connaître la civilisation européenne.
L'armée française fut amenée à s'allier un ennemi traditionnel des Touareg : les Chaâmbas, qui ont toujours convoité territoire touareg de l'Ahaggar ; en 1902 les deux tiers de l'armée françaises étaient représentés par les Chaâmbas.
Le 19 septembre 1904, les Français parachevèrent la jonction Nord-Sud Timiaouine, où furent tracées les premières frontières entre les armées colonialistes du Sud et du Nord. Ces frontières devaient définitivement scinder peuple touareg en cinq pays qui, actuellement, ne sont pas toujours en accord politiquement. Ainsi se trouve ballotté le peuple touareg.
La lutte contre le colonialisme farouche, principalement dans le grand Sud (Azawad) sous le commandement de l'illustre Fehrun Ag Lintisar qui unit pour la première fois tous les Touareg. Prisonnier en 1916, il fut exilé au Sénégal. Libéré en 1919, il reprit la lutte, mais la répression fut féroce (massacres plusieurs milliers de Touareg) suivis de ce qu'on a appelé cyniquement "la Paix coloniale" - très chère aux Français qui consistait à sédentariser les Touareg et leur imposer le mode civilisationnel occidental.
Mais la contestation n'a jamais cessé les révoltes nombreuses (Alla, chef militaire dans l'Adrar des Ifoghas qui déposa jamais les armes, mourut après trente ans de lutte dans une embuscade, il y eut aussi Kawsen dans l'Aïr...).
Progressivement, la lutte prit d'autres formes. Ainsi, faute de ne pouvoir s'opposer par les armes, les Touareg, par la défense passive, opposèrent une véritable force d'inertie en refusant tout contact avec les populations coloniales. Ce repli sur soi leur valut une marginalisation des nouveaux Etats-Nations.
Les mouvements anticolonialistes qui ont eu à négocier les indépendances avec
pays colonisateurs n'ont pas jugé opportun de soulever la question targuie dérangeante pour les Etats-Nations. Les multiples propositions faites par la France en matière d'autonomie furent rejetées par les Touareg.
Après la décolonisation :
Après les indépendances des Etats riverains du Sahara en 1960-1962, les Touareg se sentent victimes du tracé des frontières héritées de la colonisation.
Par la simple logique coloniale, les Etats en place étendirent leur souveraineté sur le territoire saharien où habitaient Touareg, de plus en plus marginalisés. Ainsi naissait un mouvement de contestation armée en 1963 dans l'Adrar des Ifoghas au Mali10.
L'armée malienne réprima férocement soulèvement par des exécutions, mitraillages aériens, empoisonnements des puits, incinérations à l'essence... Ce répression eut lieu sous le pouvoir algérien de Ben Bella qui accorda à l'armée malienne le droit de poursuite en territoire algérien jusqu'à In-Ouzall (à 300 km km de la frontière) : le chef militai touareg, LIadi Ag Alla, fut arrêté par l'armée malienne à Intachara, au Nord de Timiaouine.
En outre, les responsables politiques touareg de l'époque, réfugiés en Algérie furent extradés à Bamako où le régimes de Modibo Keita les emprisonna. La répression fut telle que la cassure entre population touareg et le pouvoir malien fut définitive.
De la résistance à l’ethnocide.
Ayant échoué dans leur tentative guerrière, les Touareg du Mali se retrouvent "prisonniers" dans les 6ème et 7ème régions militaires où l'armée venait de faire sa première Saint Barthélémy. Et les frontières devinrent prisons-mouroirs 9.
Les Touareg virent leur économie décliner et leur mode de vie se détériorer. Un premier coup fut porté à cette économie par la réquisition des chameaux à des fins militaires, ce qui perturba le commerce transaharien. Les Etats maliens et nigériens pratiquèrent la politique de l'abattage massif du cheptel des Touareg
Pire : ces Etats orientèrent le commerce des caravanes vers la côte et le marché européen, et développèrent les cultures de rente au détriment des cultures vivrières. Et le fait de restreindre l'aire de déplacement de ces nomades causa l'effondrement rapide du commerce. Ce qui condamna les Touareg à mourir de faim.
Les grandes sécheresses des années 1972-1973 décimèrent ce qui restait des troupeaux. Des Touareg du Mali et du Niger se réfugièrent en territoire algérien où ils furent bien accueillis en tant que sinistrés économiques. Mais beaucoup d'entre eux furent attirés par la Libye, et c'est dans cet exil forcé dans les grande villes qu'ils découvrirent le salariat.
A cela s'ajouta un exode massif vers la Mauritanie, le Maroc et même l'Arabie Saoudite !
Les aides internationales sollicitées par les autorités politiques du Niger et du Mali furent détournées à Niamey et à Bamako ; le peu qui parvint aux Touareg ne le fut qu'après la mort de milliers de personnes de famine et de maladies.13
Au cours des années 70 le MPA, alors clandestin, se structura dans l'exil et commença à s'armer. Depuis le congrès qu'il tint à Tripoli en septembre 1980, il entama une intense activité.
Une seconde grande sécheresse se produisit en 1984-1986 et poussa les Touareg à l'exaspération : apatrides, humiliés et dépourvus des moindres papiers d'identité, ils commencèrent à harceler les forces militaires. Ainsi en 1985, ils menèrent une attaque contre des bâtiments officiels à Tchin-Tabaraden (Niger). Il semblerait même que plusieurs incidents se soient produits avec les autorités algériennes. Ainsi en 1986, l'Algérie décida d'expulser dix mille Touareg de Tamanrasset (soit un cinquième de ce qu'elle a accueilli lors des sécheresses). Dès la même année, le F.I.D.A.11 s'associa pour la réinsertion de familles touarègues au Mali. De même au Niger, le Président Ali Seybou promit amnistie politique et réinsertion aux Touareg.
Vers avril 1990, près de dix huit mille Touareg rentrèrent de leur exil au Niger. Ils furent cantonnés près de Tchin-Tabaraden. L'aide internationale, estimée à 1,5 milliard de Francs CFA, débloquée en février 1990, tarda à venir. Ce qui poussa un groupe de jeunes Touareg à occuper la sous-préfecture de Tchin-Tabaraden pour attirer l'attention des autorités sur leur situation. Mais la réponse fut autre : l'armée nigérienne, renforcée de parachutistes venus de
Niamey, massacra par la torture, les exécutions, etc., tout ce qui ressemblait à des Touareg.14
Ces événements connurent une autre tournure lorsque le groupe de Touareg précité fut arrêté et emprisonné à Ménaka (Mali). D'autres Touareg réagirent en s'attaquant à la prison de Ménaka vers la fin du mois de juin 1990 afin de délivrer les détenus.
Après des affrontements avec l'armée malienne, une poignée de Touareg s'enfuit dans le désert, pourchassée par l'armée malienne qui instaura l'état d'urgence au Nord du Mali et massacra des populations civiles soupçonnées d'aider "les rebelles". La réaction ne tarda pas à venir car les Touareg, déjà organisés et certains d'entre eux entraînés militairement, se reconstituèrent en force militaire. C'est ainsi que commencèrent les "événements" du Mali de l'été 1990.
En septembre, les chefs d'Etat d'Algérie, Libye, Niger et Mali se réunirent à Djanet
(Algérie) pour discuter de "... la nécessité d'une prise en charge économique de la
région saharienne..." ! C'est à partir de ce moment que la presse algérienne commença à parler des Touareg 15, évoquant les "bandits Touareg qui massacrent les innocents Maliens".16
Les 6 et 7 janvier 1991, les autorités maliennes signèrent un accord tripartite avec les autorités algériennes et le Mouvement Populaire de l'Azawad Tamanrasset. Le MPA est reconnu désormais par le gouvernement Moussa Traoré, qui sera renversé quelques jours plus tard... Voici, en bref le résumé des "événements" qui ont secoué les Touareg depuis avril 1990.
Si l'on s'accorde à dire que les conditions de vie des Touareg algériens sont moins difficiles, il faut rappeler que, entre Timiawin et Tin Zawatine, des milliers Touareg demeurent sans papiers d'identité, et que les registres d'état-civil sont bloqués depuis plusieurs années ; c’est dire que ces Touareg sont considérés comme des sous-citoyens. Ils sont généralement accusés d'être "esclavagistes"; c'est d'ailleurs cette haine poussa les militaires noirs (descendants "d'esclaves") à se venger de ces Touareg considérés au Niger et au Mali comme des descendants d'anciens "maîtres" ce propos, Hélène Claudot-Hawad rapelle que "... dans l'Ouest africain aucune ethnie ne peut se vanter ne pas avoir eu d'esclaves..."18 et les Touaregs affirment aussi que même les Bambaras Songhaï, ont autant possédé de captifs que les Touareg aux temps révolus l'esclavage.19
Actuellement, la population touarègue varie d'un pays à un autre : ainsi Niger, sur une population de six millions sept cent mille habitants, on compte cinquante mille Touareg ; au Mali, huit millions d'habitants dont trois cent mille Touareg ; au Burkina Faso, huit millions quatre cent mille habitants dont trente mille Touareg ; en Libye, sur quatre millions d'habitants il y a cinquante mille Touareg ; tandis qu'en Algérie, sur vingt trois millions d'habitants on dénombre vingt mille Touareg.17
Pour conclure…
Le long des siècles, les Touareg ont vécu loin des conflits qui ont touché les autres parties du monde. L'environnement saharien a, certes, constitué une zone-refuge où ce peuple a pu vivre et... survivre.
Toute cette période faste pour les Touareg est actuellement révolue. Ils se retrouvent héritiers d'une culture et d'une civilisation plusieurs fois millénaires. Ces deux héritages n'ont pas une « protection » solide mais restent très fragiles et risquent de disparaître avec leurs derniers possesseurs. La société industrielle et la culture de masse qu'elle sous-tend constitueront une corrosion et une atteinte définitive à "ce que les Touaregs peuvent apporter au XXIe siècle", si Etats riverains du Sahara ne se préoccupent pas de cela dès à présent. L'intégration politique, économique et culturelle reste l'unique instrument pour que ne meurent pas les Touareg.
Même si un véritable ethnocide21 a été mené par les armes et/ou la famine, pendant une trentaine d'années par Etats-Nations, une lueur d'espoir demeure car on n'extermine pas facilement un peuple en silence et impunément.
NOTES.
1 - La presse algérienne a délibérément bloqué toute information relative à cette mission. Cf. 'Revue presse'.
2 - Saïd Chemakh, « Touareg réfugiés en danger. Témoignages des victimes de la répression », Libre Algérie n0 14, mai 1991, pp. 23-24.
3 - Gabriel Camps, Les Berbères, mémoire et identité, Errance, Paris, 1985. Voir les différents articles concernant les Touareg, in L'Encyclopédie Berbère, Edisud, Aix-en-Provence, 1991.
4 - Garamantes, peuple libyen au temps de l'Egypte pharaonique (Les ruines de Garama existent jusqu’à nos jours).
5 - Henri Lhote, Les Touareg du Hoggar, A. Colin, Paris, 1985.
6 - Rachid Bellil, « Touareg : La Traversée du désert », in L'Avenir, n° 12, nov. 1990, p. 10.
7 - Gao, ville du Mali.
8 - Etudes Touarègues, sous la direction de Salem Chaker, IREMAM, Paris 1989.
9 - Mouloud Lounaouci et Saïd Chemakh, « Touareg au XX" siècle », à paraître, in Libre Algérie.
10 - Rachid Bellil et Cheikh Ag Bey, La révolte l'Adrar des Ifoghas, in Awal n° 2, 1986, CERAM, Paris.
11 - F.I.D.A. : Fond International de Développement Agricole.
12 - Voir essentiellement deux témoignages :
a) Mohamed Ansary, « Sous le fil de l'épée » in Ildi 1984-85, Montréal, Canada, repris in L'Avenir, n° 12,nov. 1990, p.13.
b) Tagomast Awki, « Point de vue d'un Touareg écartelé », in Tafsut, série ‘Etudes et débats’ n° 1, déc. 1983, Tizi-Ouzou.
13 – Cf. Le Monde du 6 fév. 1974.
14 - Saïd Chemakh, « Ran Imazighen ar dagh idebnan », (en tamazight) in Amaynut, n° 1, déc. 1990, p. 8.
15 - Rachid Bellil, « Les Touareg vus par la presse algérienne », in Tafsut, série ‘études et débats’, n° 2, avril 1985, Tizi-Ouzou.
16 - Eg. « Qui est derrière la révolte de Touareg ? »; in EI-Watan du13oct.1990.
17 – Cf. Le Monde Diplomatique, juin 1989.
18 - Hélène Claudot-Hawad, Printemps Touareg a Niger, in L'Autre Journal n° 3, juil./août 1990 Paris, pp. 50-51
19 - Nous, Touareg du Mali; brochure de 12 page diffusée en sept. 1990.
20 – « Touareg : des décennies du combat », entretiens avec lyad Ag Ghali, in Libre-Algérie, n°13, avril 1991, pp.12-13.
21 - Hélène Claudot-Hawad 'Une société touarègue écartelée' in "Berbères, une identité en reconstruction" n° 44 de la R.O.M.M., Edisud, Aix 1987.
Said Chemakh
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