Cours destinés aux étudiants en 3ème année S 5 et S6, Licence.
Cours de 3ème année (Systèmes grammaticaux)
LA LINGUISTIQUE STRUCTURALE ET SES NOTIONS HISTORIQUE
LA LINGUISTIQUE STRUCTURALE ET SES NOTIONS HISTORIQUE |
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Introduction
La linguistique est une science dont l'objet est le langage humain. On doit distinguer la linguistique générale qui étudie les propriétés universelles spécifiques du langage et la linguistique du français, coréen..., qui vise à décrire le fonctionnement d'une langue.
Tous les enfants scolarisés font de la grammaire , si aujourd'hui le terme linguistique est utilisé dans les écoles ce n'est pas pour remplacer le terme grammaire, mais pour signifier qu'il s'est produit des changements radicaux de problématique dans l'étude de la langue. La linguistique s'oppose à la démarche de la grammaire traditionnelle à quatre niveaux :
- la linguistique ne privilégie pas le bon usage, elle a pour finalité de construire des grammaires, si on entend par bon usage des modèles rigoureux et explicites des langues.
- Elle se distingue de la philologie qui étudie les textes écrits laissés par les civilisations passées pour en éclairer le sens et le milieu intellectuel et social qui les a produits.
- Il n'y a pas une langue plus noble qu'une autre.
- La construction de l'appareillage conceptuel, théorique ne doit pas se réaliser à l'aide d'une grille élaborée en dehors d'une étude systématique du langage.
En revanche, " la grammaire traditionnelle" se fonde sur quatre présupposés :
- le langage est soumis à une norme dont l'avatar ultime est le purisme qui bloque une étude objective de la langue.
Le choix de la perspective philologique est décelable dans la prééminence accordée aux textes littéraires.
- le découpage des unités présuppose des catégories de pensée universelles
_ dans l'observation grammaticale se glissent des considérations importées, sans critiques préalables de la grammaire latine.
Après ces premières considérations, abordons la première partie consacrée à la grammaire traditionnelle.
1. La grammaire traditionnelle
1.1. La grammaire antique
Platon (429-347 av. J.C.) , dans une perspective logique distingue les catégories du nom et du verbe . Il pose le problème de savoir s'il y a une signification naturelle entre la signification du mot et sa forme en se demandant si cette relation n'est fondée que sur l'arbitraire. Ce problème débouche sur l'étymologie, une quête de l'origine des mots.
Aristote ajoute la catégorie de conjonction, c'est-à-dire la catégorie des mots qui ne désignent pas un objet, mais contribuent à édifier la proposition.
Les stoïciens sont les philosophes antiques qui se sont le plus occupés du langage. Leurs réflexions sont éparses dans une théorie qui vise à enseigner à bien raisonner.. Il faut attendre les grammairiens d' Alexandrie pour qu'apparaissent les premières grammaires ayant pour but de conserver,d' expliquer les %uFFFDuvres des auteurs grecs classiques. Denys de Trace est l'auteur de la première grammaire occidentale classique où sont repérées et décrites les catégories qui vont venir jusqu'à nous. Par la suite les grammairiens latins ont transmis les travaux des grecs. Certains de ces auteurs feront autorité jusqu'au XIIè siècle en Europe.
1.2. La grammaire médiévale
Les grammairiens médiévaux affinent la grammaire latine. Alexandre de Villedieu (environ 1200) fait un résumé versifié de la grammaire latine à des fins pédagogiques. La tendance générale, à cette époque, est que la grammaire est la même pour toutes les langues.
1.3. La grammaire humaniste
La Renaissance s'intéresse tout autant au grec et au latin qu'aux langues vernaculaires propres à chaque pays. En 1539 le français devient la langue de l'administration, alors que vers 1530 apparaissent les premières grammaires françaises. C'est l'époque des voyages et l'apparition des dictionnaires polyglottes.
1.4. La grammaire classique
A partir du XIIè siècle, avec Vaugelas, s'instaure la norme du bon usage. Ce point de vue normatif va être d'une importance considérablejusqu'à nos jours. De cette époque date la grammaire de Port-Royal (1660). L'étude des formes grammaticales y est subordonnée à une théorie des relations logiques qui fondent la langue. Le langage est une représentation de la pensée par des signes, et en analysant un langage, ou plusieurs, on remonterait à l'origine d'une langue qui coïnciderait avec la pensée.
1.5. Comparatistes et linguistique historique
En 1786 l'Anglais Jones émet l'hypothèse que le sanskrit présente des ressemblances frappantes avec le latin, le grec, le persan et d'autres langues.Par la suite d'autres chercheurs conforteront cette hypothèse, c'est ainsi que surgit l'idée que toutes ces langues seraient issues d'une hypothétique languenommée l'indo-européen.
La littérature populaire suscite un grand intérêt dans la mesure où l'on pense atteindre avec elle l'âme profonde du peuple. Le contexte scientifique de cette époque (Darwin) favorise l'idée de considérer la langue comme un organisme en évolution constante. L'indo-européen est alors conçu comme la langue mère dont dérivent les langues filles.
Entre 1850 et 1875 la phonétique ( étude de la production et de la substance physique de la langue) tend à devenir une véritable science expérimentale. On s'intéresse aux dialectes régionaux ( création d'atlas géographiques).
Vers 1875, à Leipzig se formeun groupe de linguistesqui prennent le nom de "néo-grammairiens". Ils estiment que la comparaison doit s'effectuer plus entre les langues proches avec la langue mère etcette comparaison doit se tourner vers le présent. Ils accordent de l'importance à la psychologie.
C'est grâce à une réflexion critique sur les acquis et les impasses de cette linguistique que F. de Saussure va édifier son cours de linguistique structurale.
Le mot philologie au sens large s'emploie assez souvent pour désigner deux domaines, la philologie au sens propre du terme (l'interprétation des textes) et la linguistique. Les anciens grammairiens grecs et romains étaient des philosophes qui distinguaient les éléments de la langue d'après des critères logiques et non proprement linguistiques.
2. Le père du structuralisme : de Saussure
Ferdinand de Saussure (1857-1913) n'a pas écrit le "Cours de linguistique générale", nous avons affaire à un texte élaboré par deux de ses disciplesà partir de notes prises entre 1906 et 1911 à Genève. Dans ces conditions, on ne peut s'étonner des interprétations nombreuses et divergentes qu'a suscité ce Cours. Il faut donc se prémunir contre un certain danger de simplifier la pensée saussurienne.
2.1. Les grandes orientations du cours
2.1.1. La linguistique est une science descriptive
Il s'agit tout d'abord de la distinguer de la grammaire traditionnelle caractérisée par Saussure comme normative, grammaire qui vise à produire des règles pour faire le partage entre forme "correcte" et forme "incorrecte". La linguistique prétend en adoptant un point de vue strictement descriptif exclure tout jugement de valeur. Le linguiste décrit et cherche à comprendre, il observe les faits et le fonctionnement du système.
2.1.2. Affirmation de la primauté de l'oral sur l'écrit
La linguistique structurale a posé le principe de la primauté de la langue parléeà l'aide de deux arguments majeurs : la parole est plus ancienne et plus répandue que l'écriture, de plus les systèmes d'écriture connus sont fondés sur les unités de la langue parlée ( le système alphabétique sur des "sons", le système syllabique sur des syllabes et le système idéographique sur des mots). Cette priorité accordée à la langue parlée confère à l'écriture un rôle second et représentatif.
2.1.3. Une science des systèmes de signes ou sémiologie
C'est parce que Saussure définit la langue comme une institution sociale qu'il envisage la possibilité d'une science, dont la linguistique ne serait qu'une partie et qu'il nomme sémiologie. Alors que le langage est une faculté naturelle,la langue est un produit collectif des communautés linguistiques , un système qui permet la transmission et l'expression de chaque expérience humaine. En cela, la langue est le plus important des systèmes de signes.
2.2. La linguistique : ses taches
La linguistique doit faire la description et l'histoire de toutes les langues ( synchronie/diachronie). Elle devra dégager des lois générales à partir de la diversité des langues. Pour aider la linguistique à réaliser ces taches, Saussure a forgé quelques concepts fondamentaux.
3. Les concepts fondamentaux du Cours
3.1. Synchronie/diachronie
Le mot synchronie désigne un état de langue considéré dans son fonctionnement à un moment donné du temps; le mot diachronie, une phase évolutive de la langue. Cette opposition n'existe pas dans les faits.Soit on décide de décrire des rapports entre éléments simultanés; soit on considère des éléments dans leur successivité; dans ce dernier cas , on tente d'expliquer les changements survenus dans la langue.
Saussure d'abord, la linguistique structurale par la suite, ont accordé la primauté à la synchronie contribuant à rompre une tradition avec la grammaire comparée. Cette primauté se justifie, en ce que, pour les locuteurs d'une langue et donc pour les linguistes, l'aspect actuel de la langue est la seule réalité. La synchronie est autonome et pour montrer cette autonomie, Saussure emploie la métaphore du jeu d'échec :de la même façon que je n'ai pas besoin, pour comprendre la partie d'échecs qui se joue devant moi de savoir quels coups ont été joués précédemment,il ne sert à rien, pour saisir les mécanismes d'un système linguistique tels qu'ils fonctionnent dans la conscience des sujets parlants ici et maintenant, de connaître les phases d'évolution de la langue en question.
En linguistique, il ne peut pas y avoir une loiqui se vérifie toujours et partout, C'est pour cette raison que Saussure critique la conception "naturaliste" de la langue, qui l'assimile à un organisme. Ainsi il définit la langue comme un objet fondamentalement inscrit dans une société et donc nécessairement inscrit dans l'histoire.
En ce qui concerne la théorie du changement, il insiste surtout sur le caractère accidenteldes changements partiels qui affectent la langue et rompt avec l'idée de dégénérescence véhiculée au XIXè siècle.
Contre cette rigoureuse distinction entre recherche synchronique et recherche diachronique, plusieurs objections ont été formulées.La langue se transforme sans cesse et il est vain de prétendre fixer un état de langue déterminé ou décrire celui-ci sans tenir compte des changements auquel il est soumis. A quel moment considère-t-on qu'un système ancien cesse et qu'un autre commence ? En fait, les deux méthodes doivent sans cesse être employées simultanément et se compléter l'une l'autre.
3.2. Distinction langue/parole
Dans un premier temps, séparons langue de langage.
Le Langage est une faculté alors que la langue est définie par Saussure comme un produit social; une convention adaptée par des membres d'une communauté.
C.L.G. p 25. " le langage est multiforme et hétéroclite; à cheval sur plusieurs domaines, à la fois physique, physiologique et psychique, il appartient au domaine individuel et au domaine social ", " l'exercice du langage repose sur la faculté que nous tenons de la nature."
En d'autres termes, le langage ne peut être appréhendé que par l'intermédiaire des langues.
La parole, elle, serait le versant individuel. Pour Saussure, la langue est le volet virtuel et la parole sa réalisation. La langue comme système grammatical et lexical existe virtuellement dans chaque cerveau; la parole réalise cette virtualité.Ainsi, la distinctionentre la langue comme forme et la parole comme réalisation de suites de sons doués de sens constitue un préalable à la définition de la langue comme système de signes de valeurs.
p 37 et 38 il dit : " C'est la parole qui fait évoluer la langue ... Il y a donc interdépendance de la langue et de la parole ; celle-là est à la fois l'instrument et le produit de celle-ci. Mais tout cela ne les empêche pas d'être deux choses absolument distinctes."
D'où le troisième concept fondamental
3.3. Signe/valeur/système
Le signe linguistique est une identité double, il unit un concept à une image acoustique. Saussure substitue le terme signifiant à l'image acoustique etle terme signifié au concept, ainsi il marque l'autonomie de la langue comme système formel. Le lien qui les unit est arbitraire, cela ne signifie pas que la relation entre les deux dépend du sujet parlant, cela signifie qu'il n'y a aucun rapport de motivation entre l'idée et la suite de son. Il parle donc de caractère immotivé du signe. En ce qui concerne les onomatopées, elles seraient moins immotivées mais elles diffèrent d'une langue à l'autre, le lien naturel que semblent entretenir signifiant et signifié reste arbitraire.
Néanmoins; Saussure apporte une nuance à ses propos et convient que certains signes ont une arbitrarité relative (dix-neuf évoque les termes dont il se compose et d'autres qui lui sont associés)
Quand Saussure évoque le principe d'arbitraire il pense également à l'arbitraire des signes dans le système de la langue. Il fonde sur cet arbitraire la valeur du signe. La valeur signe résulte du réseau de ressemblances et de différences qui situent ce signe par rapport à tous les autres signes. Reprenons la comparaison avec le jeu d'échec, chacune des pièces n'est rien, prise isolement. Elle ne requiert sa valeur que dans le système. Le propre du signe c'est d'être différent d'un autre signe. En ce sens, Saussure définit la langue comme un système de différences d'où l'idée de "combinaison" et "d'association" entre les signes.
3.4. Syntagme/paradigme
Les relations entre les signes se manifestent à la fois sur l'axe horizontal des combinaisons et sur l'axe vertical des associations.
Le syntagme se compose de deux ou plusieurs unités consécutives. Les termes ont également entre eux des rapports associatifs. Notre cerveau associe éducation et apprentissage, enfermer et refermer (même radical, même suffixe, sens voisin...). Chaque unité linguistique se trouve ainsi située sur les deux axes qui ordonnent le mécanisme de la langue.
4. Le structuralisme au sens large
4.1. Les héritiers de Saussure et la linguistique européenne
La présence de Saussure se retrouve dans toutes les tendances de la linguistique européenne. L'école de Prague (1926) parmi laquelle on retiendra les noms de Troubetzkoy et Jakobson définit la langue comme un système de signes et privilégie la description synchronique. L'école française dite fonctionnaliste est, elle, constituée de linguistes comme Martinet, Benvéniste et Gougenheim qui travaillent également dans la lignée de Saussure et de l'école de Prague.
Au Danemark le linguiste Hjelmslev fonde la linguistique glossématique qui prétend être la seule véritable continuatrice de l'enseignement de Saussure.. Cette théorie considère la langue en elle-même ,abstraction faite de sa substance sémantique et phonique. Elle en oublie le principe selon lequel la langue est un objet marqué d'historicité et inscrit dans la société.
4.2. La linguistique américaine
Elle s'oriente dans deux grands courants, celui préoccupé par l'ethnolinguistique avec Sapir et Whorf ( étude des langues amérindiennes), l'autre courant étant tourné vers la linguistique générale et les théories grammaticales. Bloomfield jette les bases d'une linguistique basée sur des faits de langage conçus comme des "réponses" " des "stimuli".
4.3. La linguistique structurale
Elle développe les perspectives de Saussure. Les divergences entre l'école européenne et l'école américaine sont importantes mais il existe une sorte de dénominateur commun.
Une théoriedu langage, indépendante du structuralisme tant européen qu'américain, a été proposée par l'orientaliste et phonéticien Firth (1960) quis'est intéressé aux éléments prosodiques.
4.4. Distinction langue/parole aujourd'hui
Aujourd'hui, la distinction méthodologique entre langue et parole est unanimement adoptée, on n'éprouve plus la nécessité de les séparer d'une manière radicale. On conçoit les choses comme un va et vient entre les deux phénomènes, on cherche à accéder à la langue par sa manifestation. On ne voit plus la langue et la parole comme deux entités si différentes mais la distinction était probablement nécessaire au départ.
Conclusion
Pour la linguistique historique les transformations de la langue étaient un phénomène normal et inévitable ;l'évolution était dirigée par un déterminisme contre lequel le sujet parlant ou écrivant ne pouvait rien et sur lequel il était vain d'essayer d'agir. Si la linguistique antérieure au XIXè siècle se limitait pratiquement à déterminer l'usage correct ou préférable, à édicter des règles sur la manière de parler et d'écrire, à améliorer la langue par des emprunts ou des suppressions, l'orientation historique du siècle suivant entraîna l'attitude contraire. Le linguiste devait observer, décrire les donnéeset les transformations mais devait s'abstenir de tout jugement de valeur et de toute tentative de normalisation.
L'introduction avec Saussure des préoccupations sociologiques dans l'étude de la langue a radicalement transformé sur ce point la façon de voir des linguistes. La langue est l'%uFFFDuvre de l'homme, elle appartient au groupe et, comme les autres coutumes sociales, elle est soumise aux normes qui valent pour ce groupe. A cette époque où la langue parlée porte à de bien plus grandes distances qu'autrefois, l'importance normative d'un certain groupe s'est considérablement affirmée. La bonne langue a bien plus que jadis la possibilité de se maintenir, et ceux qui se préoccupent de ce maintien trouvent dans la nouvelle conception de la langue une justification que la doctrine des néo-grammairiens, par exemple, ne leur fournissait nullement.
La langue est une partie de la culture et son histoire une partie de l'histoire culturelle. De même que les néo-grammairiens participaient à l'idéologie des sciences naturelles , ainsi les idées saussuriennes se rapprochent-elles des tendances qui caractérisent les sciences contemporaines. Dans leur volonté de trouver les causes ultimes des changements linguistiques ( surtout phonétiques), les linguistes de la fin du XIXè siècle ont été amenés à recourir comme les sciences naturelles, aux instruments et aux appareils. C'est ainsi que la phonétique expérimentale ou instrumentale s'est développée. Enremplaçant l'étude des détails par la recherche des relations mutuelles existant entre ces détails et par la recherche de sa totalité ( structure) dont ces détails font partie intégrante, Saussure et ses disciples rapprochaient la linguistique de la tendance qui animait une nouvelle forme de psychologie, dite la Gestalt théorie, selon laquelle le tout est quelque chose de plus et d'autre que la simple somme des parties. Cette nouvelle orientation se retrouve également en philosophie ou en littérature où la préférence pour le système ou la structure est marquée.
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La linguistique (article de synthèse)
La linguistique
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La linguistique est, selon Ferdinand de Saussure, la science ayant pour objet «la langue envisagée en elle-même et pour elle-même». Si cette définition a servi de cadre au développement de la linguistique structurale, l'étude de la langue et des langues connaît aujourd’hui de nombreux prolongements qui lui échappent.
De la grammaire à la linguistique
Les plus anciennes théories connues du langage apparaissent il y a près de vingt-cinq siècles en Inde et en Grèce. Panini rédige au IVe siècle avant notre ère une grammaire du sanskrit qui constitue à la fois une excellente description de sa langue et une réflexion aiguë sur son fonctionnement. En Grèce, l'étude du langage est liée à la philosophie qui étudie le lien entre langue et logique – les deux mots provenant du grec logos. Platon (Ve-IVe siècle av. J.-J.) et Aristote (IVe siècle av. J.-C.) s'y intéressent.
Au début du XIXe siècle apparaît en Europe la grammaire comparée, qui tente de reconstruire les langues originelles dont proviennent les différentes langues du monde. Depuis les remarques de William Jones en 1786, on connaît les analogies entre le sanskrit et la majorité des langues d'Europe, et il s'agit de comprendre de quelle façon toutes ces langues sont apparentées. Les travaux de Franz Bopp, des frères Grimm et de Friedrich von Schlegel déboucheront d’abord sur l'élaboration de lois phonétiques rendant compte de l'évolution des sons à travers le temps. En appliquant ces lois au problème de la langue mère, on parviendra ainsi à reconstruire une langue hypothétique, baptisée indo-européen.
Le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure
Le Suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913) est le premier à effectuer une analyse de la langue de type structural, les éléments du système étant définis sur la base de leur fonction et non pas sur celles de leurs caractéristiques phoniques. Sa théorie est présentée dans son Cours de linguistique générale (1916), qui va révolutionner l'étude des faits de langue.
On y trouve des distinctions qui vont être au centre des conceptions de la linguistique du XXe siècle: distinction entre le langage (la faculté générale qu'ont les êtres humains de parler), la langue (chaque instrument linguistique particulier) et la parole (l'ensemble des réalisations individuelles); distinction entre les relations syntagmatiques (relations qu'une unité linguistique entretient avec d'autres unités présentes dans la chaîne du discours) et les relations paradigmatiques (relations qu'elle entretient avec des unités absentes et qui pourraient occuper sa place); distinction entre le signifiant (c’est-à-dire la forme concrète acoustique ou phonique) et le signifié (le concept, le contenu sémantique, l'ensemble des réalités à quoi renvoie le signifiant). De plus, l'étude synchronique est à distinguer de l'étude diachronique, c’est-à-dire que, dans le premier cas, la linguistique étudie des états de langue à un moment donné et, dans l'autre, l'évolution linguistique.
Pour Saussure, tous les faits de langue sont à étudier et la linguistique doit donc abandonner tout point de vue normatif. Ce principe implique également que toutes les langues sont dignes de devenir objet d'étude, aucune n'étant supérieure à une autre ou plus intéressante qu'une autre.
Leonard Bloomfield et le structuralisme américain
C'est avec Edward Sapir (1884-1939) et Leonard Bloomfield (1887-1949) que la linguistique américaine va prendre ses caractéristiques propres. E. Sapir est surtout connu par ses travaux sur les rapports entre langue et vision du monde (en particulier, «l'hypothèse Sapir-Whorf» selon laquelle la langue organise la culture d'une communauté). L. Bloomfield élabore une théorie linguistique béhavioriste qui refuse de prendre en compte le sens des énoncés pour ne travailler que sur les comportements associés à l'usage de ces énoncés, la communication étant ramenée au modèle stimulus‑réponse. Dans son ouvrage le Langage (1933), L. Bloomfield insiste surtout sur la segmentation de l'énoncé linguistique en unités (la phrase est segmentée en constituants immédiats, puis en morphèmes), dont il étudie la distribution et classe les variantes
Le cercle de Prague et la phonologie
En 1926, une équipe de jeunes chercheurs russes (Roman Jakobson, Nikolaï Troubetzkoï) et tchèques (Vilem Mathesius, B. Trnka, J. Vachek) fonde le cercle linguistique de Prague. Distinguant la phonétique de la phonologie, la première étudiant les sons de la parole et la seconde les sons de la langue, ces chercheurs fondent la phonologie structurale qui conçoit la langue comme un système répondant à une fonction (la communication) et mettant en œuvre les moyens nécessaires pour assumer cette fonction. Dans les Principes de phonologie (publ. posth., 1939), N. Troubetzkoï définit le phonème comme la plus petite unité fonctionnelle, et l'opposition phonologique comme l'opposition phonique qui permet de distinguer deux unités sémantiques.
D'autres linguistes se joignent au cercle de Prague, comme le Britrannique Daniel Jones et les Français Émile Benveniste et André Martinet, qui sont les principaux propagateurs de ces thèses.
L'école de Copenhague et la glossématique
Deux linguistes danois, Louis Hjelmslev et Knud Togeby, ont repris de l'enseignement de F. de Saussure l'idée que la langue est une forme et non pas une substance, créant la glossématique (du grec glôssa signifiant «langue») et s'efforçant de construire une sorte d'algèbre de la langue considérée comme pur jeu de différences. Sur le modèle du cercle de Prague, L. Hjelmslev crée, en 1931, le cercle linguistique de Copenhague. Les Prolégomènes à une théorie du langage (1941) restent son texte le plus important. Dans cette approche épistémologique, seule la présentation du couple connotation/dénotation, reprise et transformée par Roland Barthes, a fait école.
La linguistique française
Les deux figures marquantes de la linguistique française moderne sont Emile Benveniste et André Martinet. Benveniste a systématisé la notion de racine (une voyelle alternante entre deux consonnes) et s'est très vite converti à une approche structurale du lexique, étudiant en particulier le vocabulaire des institutions indo-européennes. Puis il s'est consacré à la linguistique générale (Problèmes de linguistique générale, 1966-1974), apportant des contributions importantes à la théorie de l'arbitraire du signe et à celle des temps et des pronoms.
A. Martinet propose une théorie générale de la langue, connue sous le nom de fonctionnalisme, approche structurale qui ne néglige pas pour autant la dimension historique et qui analyse les faits de langue à la lumière de la fonction – considérée comme centrale – de communication. Partant de l'acquis de la phonologie – qu'il a contribué à améliorer, en particulier en ce qui concerne la théorie de l'archiphonème et de la neutralisation –, A. Martinet élabore la notion de double articulation, posant que la langue est segmentée, d'une part, en monèmes (unités linguistiques ayant à la fois une forme et un sens, qu'il va classer à partir de la façon dont elles marquent leur fonction) et, d'autre part, en phonèmes (unités linguistiques n'ayant qu'une forme et pas de sens); cette vision lui permet de montrer comment quelques dizaines de phonèmes permettent de former des milliers de monèmes qui, à leur tour, s'assemblent dans les énoncés linguistiques.
Vers une grammaire générative
Se situant tout d’abord dans la lignée de l'école bloomfieldienne, l'Américain Zellig Harris formule les principes de l'analyse distributionnelle, en particulier dans Methods in Structural Linguistics (1951). Il repousse l'utilisation du critère de sens pour fonder la description linguistique sur l'inventaire de la distribution des phonèmes et des morphèmes, c’est-à-dire sur la somme des environnements de ces unités. Il développe ainsi une analyse de la phrase en constituants immédiats.
Z. Harris évolue ensuite vers une linguistique transformationnelle en partant essentiellement du problème des ambiguïtés syntaxiques. Si une phrase peut avoir deux sens, cette difficulté peut être expliquée en remontant au noyau à partir duquel, par transformation, est construite cette phrase. Dans un autre domaine, l'apparente identité de structure de deux phrases – le menuisier travaille le dimanche et le menuisier travaille le bois – peut être réfutée en constatant qu'elles ne se prêtent pas aux mêmes transformations.
Noam Chomsky, disciple de Z. Harris, va utiliser cette idée de transformation d'une tout autre façon. Voulant dépasser le stade classificatoire de la linguistique, il veut élaborer un modèle des langues et du langage, et part du principe qu'une grammaire est constituée par un ensemble fini de règles permettant de produire un ensemble infini de phrases.
Une description syntaxique (ou grammaire générative) doit donc être pour N. Chomsky l'ensemble des règles dont l'application permet de produire toutes les phrases correctes de la langue.
Revenant aux conceptions de
La sociolinguistique
Le Français Antoine Meillet (1866-1936) est le premier à insister sur les rapports entre la langue et la société. Dans un article intitulé «Comment les mots changent de sens», il s'attachait à étudier les liens entre milieux sociaux et variantes linguistiques. De façon plus générale, A. Meillet considérait que le langage est un fait social et que la tâche du linguiste est de préciser à quelle structure sociale correspond une structure linguistique déterminée.
Après avoir été longtemps négligée, l'analyse sociale du langage viendra de deux horizons très différents, celui de linguistes se réclamant du marxisme et celui de la sociolinguistique américaine.
Pour ce qui concerne le marxisme, c'est surtout Paul Lafargue qui, dans un article consacré à «
La nouveauté vient des Etats-Unis où se développe, à partir des années 1960, une ethnologie de la parole, autour de chercheurs comme Dell Hymes ou John Gumperz, qui travaillent sur les interactions et les enjeux que l'on peut déceler derrière l'utilisation de la langue. À la même époque, en Grande-Bretagne, Basil Bernstein étudie les rapports entre formes linguistiques et classes sociales.
Plus important est l'apport de William Labov, tant au niveau méthodologique que sur le plan théorique. Saisissant le langage dans son contexte social, il en vient à définir une communauté linguistique comme un groupe de locuteurs qui partagent un ensemble d'attitudes sociales envers la langue: non pas des individus qui pratiquent les mêmes variantes, mais des gens qui jugent ces variantes de la même façon.
La psycholinguistique
Certains chercheurs ont voulu mettre l'accent sur les relations entre les messages échangés par les interlocuteurs et l'état mental de ces interlocuteurs: c'est le domaine de la psycholinguistique. Cette science prit corps dans les années 1950 autour de psychologues (C.E. Osgood, J.B. Caroll) et de linguistes (T.E. Sebeok, F.G. Lounsbury). Le projet initial de la psycholinguistique était d'analyser la façon dont les intentions du locuteur étaient transformées en messages que l'interlocuteur pouvait interpréter. Le psychologue B.F. Skinner intervint à son tour dans le débat, en proposant (le Comportement verbal, 1957) une psychologie du langage fondée sur le comportementalisme. D'autres psychologues, comme le Soviétique Lev Vigotski ou le Suisse Jean Piaget, apporteront également leur contribution à la construction de la nouvelle discipline. Les chercheurs influencés par les théories de N. Chomsky vont, pour leur part, développer une approche psycholinguistique dans le cadre de l'analyse générative.
La linguistique appliquée
La linguistique appliquée consiste dans l'utilisation des méthodes de la linguistique ou des résultats des descriptions linguistiques pour résoudre différents problèmes techniques ou sociaux.
L'application de la linguistique à l'enseignement
En premier lieu, la linguistique a beaucoup apporté à l'enseignement des langues, qu'il s'agisse de la langue maternelle ou des langues étrangères. On a pu, par exemple, montrer que les difficultés rencontrées dans l'étude d'une langue étrangère étaient en partie explicables par les différences de structure entre la langue source et la langue cible, et qu'il était possible d'élaborer des méthodes d'enseignement des langues étrangères spécifiques à une langue maternelle. Ainsi, le mot français bois, qui désigne à la fois la matière («du bois») et un ensemble d'arbres, s'oppose à forêt («un ensemble d'arbres plus étendu»), alors qu'en espagnol leña ne désigne que le bois de chauffage, madera désigne le bois de construction, bosque désigne une petite forêt et selva une forêt plus importante. Un Français apprenant l'espagnol aura donc du mal à dominer ce vocabulaire. Cette approche, qui porte le nom de linguistique contrastive, part de l'analyse des fautes commises par les débutants, cherche leur explication dans les différences de structure (syntaxiques, phonologiques, sémantiques) entre la langue maternelle et la langue étudiée, et débouche sur une méthodologie pédagogique appropriée, proposant une progression et des exercices correctifs.
On a pu aussi montrer que certaines difficultés d'apprentissage du calcul, en particulier chez des enfants de migrants, n'étaient pas liées au calcul lui-même, mais à des difficultés de compréhension de la langue dans laquelle on enseignait cette discipline, ce qui a porté l'attention à la fois sur l'importance de la langue d'enseignement et sur l'inégalité des enfants issus de classes sociales différentes face à l'école. La linguistique appliquée à l'enseignement est donc une branche importante de la linguistique appliquée, qui a aujourd’hui sa place dans la formation des enseignants.
L'application de la linguistique à la traduction
Un autre domaine dans lequel les recherches linguistiques ont une application immédiate est celui de la traduction, en particulier la traduction automatique. La multiplication des ordinateurs a laissé espérer la possibilité de remplacer le traducteur humain par une machine, ce qui impliquait des descriptions formelles de la syntaxe et de la sémantique des langues concernées. De ce point de vue, les travaux de Noam Chomsky (qui partait de l'hypothèse qu'il y a des structures communes à toutes les langues) ont paru un temps prometteurs, mais on s'est aperçu qu'on ne pouvait pas transposer de façon automatique une langue dans une autre, et qu'il était nécessaire de passer par une sorte de langue intermédiaire, de caractère universel. Ces travaux ont ouvert la voie à des recherches concernant la linguistique mathématique et les universaux du langage, mais les résultats sont pour l'instant limités.
D'autre part, la mise au point de langages de programmation nécessite une réflexion interdisciplinaire entre linguistes et informaticiens, tandis qu'à l'inverse les travaux sur l'intelligence artificielle impliquent que les linguistes utilisent largement l'informatique.
Les applications de la psycholinguistique
Dans le domaine de la psycholinguistique, les applications sont également nombreuses, qu'il s'agisse de l'étude des troubles du langage et de leurs rapports avec les lésions corticales ou avec des maladies mentales: la phoniatrie, la neurolinguistique, la psychopathologie ou la pathologie du langage sont ainsi des domaines privilégiés d'application de la linguistique, qui est une aide précieuse dans la compréhension et le traitement des troubles de l'acquisition et du maniement du langage.
Les applications de la sociolinguistique
Enfin, la sociolinguistique a, entre autres débouchés, un domaine d'intervention fondamental dans ce qu'on appelle la planification linguistique, en particulier dans les pays ayant obtenu récemment leur indépendance: analyse du plurilinguisme, étude de l'émergence de langues véhiculaires, proposition de langues d'unification, de scolarisation, normalisation du vocabulaire, néologie, etc. Les linguistes jouent donc un rôle central dans la description des situations, la mise au point d'alphabets pour les langues non écrites, la standardisation des langues dialectalisées, l'élaboration de manuels scolaires, toutes choses nécessaires lorsqu'un gouvernement décide par exemple de promouvoir au statut de langue officielle une langue locale en remplacement d'une langue héritée de l'époque coloniale. Mais il faut alors choisir, parmi les nombreuses langues en présence, celle qui pourra jouer ce rôle, et l'«équiper» en conséquence. On distingue ici entre la politique linguistique (c’est-à-dire les grands choix en matière d'intervention sur la langue ou sur la situation linguistique, qui relèvent de l'État) et la planification linguistique (l'application concrète de ces choix qui nécessite l'intervention des linguistes).
Les politiques linguistiques peuvent chercher à intervenir sur la langue (lorsqu'on veut normaliser, lutter contre les emprunts à des langues étrangères, moderniser en créant de nouveaux mots) ou sur les langues (lorsque l'on veut changer les rapports entre les langues en présence). Dans le premier cas, on notera l'exemple du Québec, qui lutte contre l'influence de l'anglais sur le français, ou de
La linguistique, science modèle
La phonologie a, par sa rigueur méthodologique, très vite séduit des spécialistes d'autres sciences humaines. En 1942, Claude Lévi-Strauss découvre le structuralisme en suivant les cours de R. Jakobson. L'anthropologie française, jusque-là influencée par les sciences de la nature, va dès lors emprunter la démarche de la linguistique générale, qui sera appliquée à des domaines très éloignés de la langue.
Au début des années 1950, le psychanalyste Jacques Lacan découvre à son tour la linguistique. Il va en appliquer le modèle au fonctionnement de l'inconscient, énonçant que celui-ci est structuré «comme un langage».
Le structuralisme est alors à la mode, et la linguistique est la science structurale par excellence, l'application privilégiée de cette nouvelle approche. L'historien Pierre Vilar, l'économiste François Perroux, le philosophe Henri Lefebvre, le psychologue Robert Pagès font, parmi d'autres, un usage fréquent de l'approche structurale, et la linguistique est admirée pour ses procédures de description qui, pense-t-on, échappent au psychologisme. Grâce à la linguistique, les sciences de l'homme paraissent pouvoir rivaliser en rigueur avec les sciences exactes, malgré les mises en garde de certains linguistes qui s'élèvent contre cette utilisation métaphorique de leurs concepts.
La linguistique, une science en crise
La linguistique va cependant se retrouver confrontée à toute une série de questions auxquelles l'approche structurale ne peut plus répondre. Dans un premier temps, on avait considéré qu'il existait une linguistique générale, traitant de la langue considérée comme système abstrait, et articulée traditionnellement en trois grandes branches: la phonologie, la syntaxe et la sémantique. La linguistique européenne entreprenait de se construire à partir du modèle phonologique de l'école de Prague, tandis que la grammaire générative tentait de subordonner la sémantique et la phonologie à la composante syntaxique, considérée comme le noyau central d'une théorie de la langue. Mais s'il était relativement facile d'analyser les sons du langage en termes de structure, cette approche semblait moins bien s'adapter à la syntaxe, tandis que l'univers du sens résiste encore plus à l'analyse. On s'est rendu compte qu'il était malaisé de tenir un discours théorique englobant l'ensemble des faits de langue.
En outre, la science éclatait dans diverses directions, que l'on allait tout d’abord tenter de considérer comme des sous‑branches de la linguistique générale: la sociolinguistique, la psycholinguistique, la linguistique appliquée. Or chacune de ces branches posait des questions théoriques qui remettaient parfois en cause les modèles jusque-là utilisés et l'unité de la linguistique.
Enfin, on voyait les points de vue et les approches descriptives varier considérablement. On se rendit ainsi compte que l'unité de la science linguistique reposait sur une sorte de fiction, que le modèle hérité de la phonologie et que toutes les sciences humaines avaient copié ne permettait pas de fédérer la pluralité des directions de recherche et des centres d'intérêt.
En savoir plus sur http://www.memo.fr/Article.asp?ID=THE_SCI_050#Som0#pfTBEV75tevDRkhf.99
L'ENONCIATION EN LINGUISTIQUE
L'ÉNONCIATION en LINGUISTIQUE |
MENTIONS DU COURS : (c) http://bbouillon.free.fr/univ/ling/fichiers/enonc/enonc.htm
Indices grammaticaux de l'énonciation - Discours rapporté
La relation de l'énonciateur à l'énoncé
Principes : si l'on prend un énoncé quelconque, une phrase extraite d'un dialogue, ou de n'importe quel texte, l'énonciation, c'est tout ce qui est en plus de l'énoncé, du message brut, tout ce qui en fait un acte de communication. Il y a le message d'une part, l'énoncé, et il y a d'autre part dans l'énoncé et en plus de lui la présence de celui qui envoie le message, l'énonciateur. On oppose (distingue) énonciation et énoncécomme on oppose fabrication à fabriqué : on étudie l'acte à travers son résultat.
Un énoncé quelconque comporte souvent des éléments qui renvoient aux circonstances de son énonciation, qui les reflètent, les réfléchissent : on parle alors de la réflexivité du langage.
Quand on étudie un énoncé quelconque, quels sont ces éléments qui sont en liaison avec la situation, et qui ne sont compréhensibles que par rapport à l'acte d'énonciation ?
DÉFINITIONS
Les termes qui reflètent l'acte d'énonciation sont appelés des embrayeurs parce que ce sont eux qui entraînent, qui relient le sens de l'énoncé à la situation. Et ce qui renvoie à la situation est qualifié de déictique. Tout ce qui est déictique, tout ce qui relève de la situation d'énonciation, se rapporte à ces trois paramètres : moi / ici / maintenant. Tout tourne autour de moi, le locuteur, qui me trouve forcément à un endroit donné, ici, et dans un temps qui est le présent vrai. Ce sera là la base de notre étude.
Au contraire, un terme qui renvoie à ce qui a été dit auparavant dans le discours est qualifié d'anaphorique ; un pronom relatif par exemple est systématiquement anaphorique ; un pronom personnel peut être anaphorique ou déictique). Un terme qui trouve son référent dans la suite du discours est qualifié de cataphorique : Elle est arrivée, Julie ? [elle est défini par Julie]
3ème niveau : des termes qui se définissent par eux-mêmes, qui renvoient à des connaissances extérieures, et cela suffit à leur donner leur référent ; c'est le cas des noms propres, et d'expressions complètes, pour lesquelles on parle de référence absolue :
Le Cid / Rodrigue / Victor Hugo fut inhumé au Panthéon en 1885. [noms propres / titres / dates]
Aucun problème de reconnaissance pour le personnage ou le titre dont je parle, quelle que soit la phrase où j'utilise ce nom ou cette expression ; pas plus que pour le Panthéon ou pour la date.
LES INDICES GRAMMATICAUX DE L'ÉNONCIATION
I - LES PERSONNES ET LES CHOSES
(Le syntagme nominal ou ses représentants)
1) Pronoms personnels
Je – tu – nous – vous (+ formes compléments)
Je désigne le locuteur, celui qui parle. C'est un pronom très particulier, car il se définit, il donne son identité par le seul fait qu'il est utilisé.
Tu désigne l'allocutaire, celui à qui parle le locuteur. On peut dire que le tu n'existe que grâce au je : il se définit par rapport à l'énonciateur, et par le fait même qu'il est utilisé par lui. Évidemment, cela vaut également pour le vous de politesse.
Nous désigne le locuteur + l'allocutaire ou les allocutaires, ou une ou plusieurs tierces personnes, ou tout cela ensemble (ex : je + tu + il / ils). Nous n'est pas un véritable pluriel de je : ce n'est pas une multiplication d'objets identiques, mais une jonction entre je et le non-je, comme dit Benveniste.
Vous désigne les allocutaires (véritable pluriel de tu), ou un ou plusieurs allocutaires + une ou plusieurs tierces personnes.
Les pronoms de la 3ème personne peuvent prendre une valeur déictique quand ils renvoient à une personne présente ou à une chose qui se trouve dans l'environnement du locuteur (souvent, geste) :
Regarde-le ! Comme il est susceptible ! (Pagnol)
Remets-le sur son étagère.
Avec les pronoms personnels sujets, on trouve les terminaisons verbales correspondantes. A l'impératif, on trouve les terminaisons sans les pronoms.
Attention à certains pronoms, qui ne sont pas utilisés dans leur rôle d'origine : le vous de politesse (= tu), le nous dit de majesté (ou de modestie, ou d'auteur), les diverses significations du pronom on, les diverses manières de s'adresser aux enfants ou aux animaux...
2) Les possessifs
Adjectifs et pronoms possessifs renvoient également à une personne de conjugaison ; les possessifs de 1ère et 2ème personne ont donc également un aspect déictique :
Rends-moi mes billes, je te rendrai les tiennes !
Pour être précis, cet aspect déictique vient en second, car les pronoms trouvent d'abord leur référent de manière anaphorique, dans le début de la phrase.
Les possessifs de la 3ème personne peuvent, comme les pronoms personnels, renvoyer à une tierce personne présente dans la situation de discours, et donc posséder une valeur déictique :
Tiens, regarde un peu sa nouvelle robe ! (+ geste)
3) Les démonstratifs
Les pronoms et adjectifs démonstratifs réfèrent souvent à un objet ou à une personne présent(e) dans la situation : Donne-moi cet outil. / Donne-moi ceci.
Dans cette utilisation, les démonstratifs sont appuyés par un indice non linguistique, comme un geste, une attitude, un regard ; en cela ils sont bien déictiques, mais ils se distinguent des embrayeurs au sens strict, comme je ou tu, qui s'identifie par eux-mêmes : je s'identifie par le seul fait que le locuteur prononce ce mot, et tu par le seul fait qu'on s'adresse à l'allocutaire.
=> Attention : les démonstratifs s'utilisent aussi souvent de manière non déictique, mais anaphorique.
=> L'article défini peut avoir un sens proche de celui de l'adjectif démonstratif, avec geste : Donne-moi le tournevis, là.
4) Des termes relationnels
Certains termes établissent une relation avec le locuteur, dans une certaine utilisation :
Panisse est un ami (= un ami à moi) / un voisin.
Papa doit rentrer ce soir.
Notons que dans cette phrase, tout dépend de la personne qui parle : l'enfant lui-même, un autre enfant du même papa, ou la mère de l'enfant :
Je te dis que mon papa doit rentrer ce soir.
Je te dis que notre papa doit rentrer ce soir.
Je te dis que ton papa doit rentrer ce soir.
II - LES CIRCONSTANCES
Autre catégorie d'embrayeurs, les indications de lieu et de temps qui ne se définissent que par la situation.
1) Le lieu
Le rapport de localisation (rapport au locuteur) s'exprime par des éléments qui sont, ou ne sont pas, compléments de lieu :
- surtout des adverbes et locutions adverbiales, comme ici, là, là-bas (ici-bas), là-haut... :
- certains adjectifs : Je vais au supermarché voisin / proche (de moi).
- Le verbe venir, quand il signifie « aller vers moi » ; dans certains cas, le verbe aller, ou s'en aller :
Attention, j'entends le Croquemitaine qui vient ! / ...Papa qui rentre / ...qui s'en va.
2) Le temps
Les compléments de temps déictiques se repèrent par rapport au moment qui est celui de l'énonciation. On trouve de la même façon :
des adverbes ou des locutions adverbiales ; certaines expriment la coïncidence, le moment présent : maintenant, aujourd'hui, en ce moment, à cette heure-ci... D'autres expriment un rapport d'antériorité ou de postériorité par rapport au présent du locuteur : hier, la semaine dernière, depuis huit jours, l'an passé... ; demain, dans huit jours, dorénavant...
Notons comme précédemment le rôle important des prépositions, mais avec complément.
Des adjectifs : actuel, présent, passé, prochain...
L'époque actuelle est fertile en découvertes scientifiques.
Nous avons déménagé l'année passée / l'année dernière.
Nous faisons construire l'année prochaine.
III - LE VERBE
Comme dit E. Benveniste, « le présent est proprement la source du temps ». Le présent étant le seul vécu véritable, c'est par rapport à lui que se définissent tous les autres temps, c'est-à-dire le passé et l'avenir. Le verbe joue donc un rôle fondamental ; mais il faut pourtant remarquer que le verbe n'est pas seul en cause : en fait, la notion de temps, exprimée dans le verbe, concerne la phrase entière, dont le verbe n'est que le pivot.
Il faut ici faire une distinction fondamentale, dont nous aurons besoin pour la suite de cette étude, et qui concerne tous les aspects de l'énonciation, et pas seulement le verbe :
on parlera de discours quand l'énoncé se rapporte au présent de l'énonciateur ; le discours est structuré autour des embrayeurs ;
on parlera d'histoire, ou de récit (en fait, il y a une nuance) pour le discours détaché du présent de l'énonciateur, comme s'il se faisait tout seul.
Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'envisager ce que devient le discours quand il se transforme en récit, dans le langage indirect par exemple. Et dans un texte, les différents niveaux se mélangent, à différents degrés.
Selon que l'on est dans le discours ou dans l'histoire, les temps des verbes s'organisent différemment :
1) Le discours
Le temps de base, nous l'avons dit, c'est le présent, dans sa valeur originelle, qui est de dire ce qui se passe pendant qu'on le dit. Il peut avoir d'autres valeurs, qui étendent son champ d'action, en indiquant une répétition (présent d'habitude), ou une une généralité (présent de vérité générale) :
Tous les ans, il part en cure à Vichy.
Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Autour du présent, utilisé avec sa valeur de base, on trouve les temps qui expriment une antériorité ou une postériorité :
l'antériorité s'exprime par le passé composé ou l'imparfait, selon le sens.
L'imparfait se réfère complètement au passé, sans liaison avec le présent :
Autrefois, je fumais ; maintenant, je bois.
L'imparfait ne fonctionne pas comme embrayeur, il ne peut être lié à la situation d'énonciation.
Au contraire, le passé composé continue d'exprimer une liaison avec le présent :
Autrefois, je fumais ; mais j'y ai renoncé.
J'ai renoncé dans le passé, mais ce renoncement se continue aujourd'hui. Le passé composé peut fonctionner comme embrayeur :
A vingt-cinq ans, il a déjà publié trois romans.
Je parle de quelqu'un de vivant, et du résultat présent d'actions passées qui sont pourtant accomplies, terminées (essayer de mettre n'importe quel autre temps passé).
la postériorité s'exprime avec le futur simple :
Il assure qu'il terminera ce soir.
*Quand il aura terminé, il rentre chez lui.
Dans un énoncé au présent, le futur antérieur ne peut s'utiliser que par rapport au futur simple, pas par rapport au présent ; il exprime une antériorité par rapport au futur simple ; il ne prend donc pas ses repères par rapport au moment de l'énonciation :
Il affirme qu'il rentrera quand il aura fini.
Il affirme qu'il aura terminé avant 18 heures.
Dans ce dernier exemple, le futur antérieur se situe par rapport au futur (simple) 18 heures, qui n'est pas exprimé par un verbe.
Bien sûr, il existe des formes parallèles, des périphrases verbales que le français a développées pour exprimer le futur proche et le passé récent :
Il va rentrer. / Il vient de sortir.
2) L'histoire
L'histoire se coupe complètement des embrayeurs. Sur le plan des temps, ce type d'énoncé se construit autour du passé simple et de l'imparfait.
L'antériorité s'exprime à l'aide des temps composés correspondants : le passé antérieur et le plus-que-parfait :
Quand il eut terminé, il rentra chez lui.
Quand il avait terminé, il rentrait chez lui.
la postériorité s'exprime à l'aide du conditionnel, qui se comporte comme un temps (deux temps), ce qu'il était à l'origine, et non comme un mode :
Il nous affirma / affirmait qu'il terminerait vers 18 heures.
Il nous affirma / affirmait qu'il aurait terminé avant 18 heures.
A part dans ce sens particulier (voir plus haut), le conditionnel passé exprime une antériorité par rapport au conditionnel présent : Il disait qu'il rentrerait quand il aurait terminé.
3) Les modes ; l'impératif
Nous n'avons parlé ici que de l'indicatif, qui est si l'on veut le mode normal, premier, le niveau zéro du mode. A l'intérieur des autres modes, le système de temps est simplifié, mais suit globalement le système temps simple / temps composé (antériorité) ; la postériorité sera exprimée à l'aide du présent (il n'y a pas de futur du subjonctif !). Le conditionnel, lui, se comporte soit comme un temps, soit comme un mode.
Quant à l'impératif, c'est un mode qui est par principe un embrayeur, puisqu'il permet un acte de langage direct de l'énonciateur à une autre personne présente, un allocutaire. Il contient en lui-même, implicitement, le je et le tu (= je te dis que tu dois...). L'acte de langage, c'est le fait que le locuteur agit par la parole sur l'allocutaire. Au niveau des temps, il est exprimé dans le présent véritable, mais pour une réalisation dans un futur proche. Un seul mot donc, mais qui cumule tous les aspects.
Rôle des présentatifs
A rapprocher des démonstratifs, les présentatifs voici et voilà font généralement référence à la situation, et s'accompagnent souvent d'un geste ; ils servent à introduire une phrase non verbale :
Chers amis, voici celui notre nouveau président...
Ces présentatifs ont aussi une valeur verbale qui est à rapprocher de ce que nous avons dit sur les temps des verbes : ils associent temps (présent) + lieu + moi + toi, vous. Ils cumulent donc aussi la présence du locuteur et des allocutaires, les aspects temporels, et un acte de parole, puisque le locuteur attire l'attention des allocutaires.
Il existe plusieurs moyens de rapporter la parole des autres dans un énoncé : c'est ce qu'on appelle en particulier le discours direct ou lediscours indirect.
Ce qu'on appelle discours rapporté, c'est la superposition de deux énoncés (au moins) : l'énoncé d'un premier locuteur est rapporté par un second locuteur, et ce n'est pas forcément terminé ; en fin de compte, le dernier locuteur, c'est l'auteur. Bien sûr, si on superpose trop d'énoncés, le lecteur ne comprend plus rien (X raconte que Y a raconté que Z a raconté que...) !
I - LE DISCOURS DIRECT
Un personnage ou un auteur se fait le porte-parole d'un autre locuteur. Cela peut être très simple, sans fioritures, sans aucun élément d'interprétation :
Groucho Marx a dit : « Je ne voudrais pour rien au monde faire partie d'un club qui serait disposé à m'accepter comme membre. »
A priori, le locuteur-rapporteur ne modifie en rien la parole historique du premier locuteur.
Caractéristiques du discours direct
- Les marques externes de l'énonciation : la ponctuation qu'on pourrait appeler « externe », guillemets et tirets, sert à marquer visuellement les paroles, et c'est le signe de l'indépendance syntaxique du discours direct.
- On pourrait parler de même de ponctuation « interne » pour la ponctuation énonciative : points d'interrogation, d'exclamation ou de suspension, qui marquent l'intonation.
- C'est dans le discours direct qu'on relèvera la présence de tous les embrayeurs : pronoms, adverbes, temps verbaux...
- Les tournures sont propres au DD : par exemple l'interrogation avec inversion du sujet.
- On ajoutera éventuellement des éléments approximatifs, hésitations, erreurs, incorrections, présence de jurons, etc.
II - LE DISCOURS INDIRECT
Dans le langage indirect, les propos d'un locuteur sont intégrés dans ceux d'un autre locuteur, une énonciation est intégrée dans une autre, avec une ligne de démarcation qui est celle de la subordination : la « traduction » des paroles se fait à l'aide de subordonnées, presque toujours. L'étude des différences avec le discours direct va donc nous indiquer ce que deviennent les embrayeurs du discours originel.
Caractéristiques du discours indirect
- Intégration des paroles dans des subordonnées, conjonctives pures ou interrogatives, COD d'un verbe de communication. Il y a donc perte de l'indépendance syntaxique.
- La ponctuation « externe » (marques externes de l'énonciation) disparaît en même temps.
- La ponctuation énonciative, « interne », disparaît également.
- Il est souvent nécessaire de lexicaliser, d'exprimer les sentiments et les attitudes par des mots appropriés (ex : avec indignation).
- Les embrayeurs, tous les termes déictiques sont remplacés par des éléments anaphoriques. Les temps du discours sont remplacés par les temps de l'histoire. Bref, tous les pronoms, adverbes, locutions se rapportant à moi / ici / maintenant sont remplacés par d'autres, définis désormais par rapport à un personnage, exprimé à la 3ème personne.
- Cas particulier : la phrase injonctive n'est pas forcément intégrée dans une subordonnée, mais s'exprime désormais à l'aide d'un infinitif complément (il est vrai que certaines grammaires analysent cela comme une subordonnée infinitive) : « Avertisses immédiatement la population ! » > Il leur ordonna d'avertir immédiatement la population.
III - LE DISCOURS INDIRECT LIBRE
(ou semi-direct)
Cas particulier, que nous présentons rapidement ici, le discours indirect libre conserve la construction du discours direct, mais perd la ponctuation « externe » (pas la ponctuation énonciative), et transpose tous les embrayeurs, pronoms, adverbes, temps, comme dans le discours indirect. Il est d'une efficacité stylistique certaine, et les auteurs l'utilisent occasionnellement au moins depuis le XVIème siècle.
La mouche en ce commun besoin
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin ;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! Une femme chantait ;
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait !
(La Fontaine, Le coche et la mouche)
Développement sur le discours indirect libre
Développement stylistique : la relation de l'énonciateur à l'énoncé
Révision Générale II
Révision Générale II :Voici un autre texte à lire et à utiliser :
Les grands courants en linguistique
(© Henriette Gezundhajt, Départements d'études françaises de l'Université de Toronto et de l'Université York à Toronto, 1998 - 2015) Lien : www.linguistes.com
I La Linguistique et ses écoles
Il faut savoir que la linguistique regroupe un certain nombre d'écoles qui ont toutes en commun d'avoir le langage comme objet d'étude mais qui n'abordent pas forcément les problèmes du même point de vue.
Les linguistiques internes sont des disciplines autonomes. On y trouve les linguistiques structurales proprement dites (fonctionnalisme, distributionnalisme, psychosystématique, générativisme reliés au structuralisme à des degrés divers) et les linguistiques énonciatives qui en découlent. Certaines de ces dernières, comme celle de Culioli, se considèrent comme post-structurales. De plus, certaines linguistiques dites internes se suffisent à elles-mêmes alors que d'autres sont associées à une discipline différente (sociologie, ethnologie, psychologie, neurologie...). Par exemple, la sociolinguistique étudie la langue comme révélateur sociologique.
II Historique :
Avant 1916 on s'occupait surtout de linguistique historique (philologie). Saussure était à l'origine un spécialiste de l'indo-européen. En 1875, il avait publié un ouvrage diachronique sur les voyelles de l'indo-européen.
En 1916, deux de ses étudiants publient -> Saussure : « Cours de linguistique générale » (1916)
De 1930 -> 1975 on constate l'hégémonie du structuralisme
Les linguistiques énonciatives apparaissent en 1956 avec « La nature des pronoms » de Benveniste et n'ont cessé d'évoluer depuis.
III L'objet du structuralisme
La linguistique structurale est un courant qui réunit un groupe d'écoles dans lesquelles la langue est étudiée comme un système doté d'une structure décomposable.
Selon les courants la sémantique est mise à l'écart ou intégrée dans les autres grandes catégories. Dans le cadre de ce cours nous postulerons pour la seconde vision des choses. De la même façon certains linguistes préfèrent parler de morpho-syntaxe plutôt que de séparer radicalement les domaines de la morphologie et de la syntaxe sur lesquelles sont basées les grammaires scolaires.
Ainsi le langage est découpé en niveaux (strates), chacun étudié par une discipline qui lui est propre :
traits |
Phonétique |
Phonèmes |
Phonologie |
Syllabe |
Morphologie |
Mots |
Lexicologie |
Propositions |
Sémantique |
Phrases |
Syntaxe |
Énoncés |
Énonciation et pragmatique |
Le structuralisme a pour qualité d'être rigoureux. Le revers de la médaille est une tradition réifiante (chosifiante) venant de la philologie (étude des langues anciennes) et de la philosophie du scientisme et du positivisme d'Auguste Comte, du monisme. La démarche découlant des sciences de la nature consiste à purifier l'objet d'étude.
C'est la tradition aristotélicienne. Les phénomènes langagiers sont considérés comme unitaires, stables. On est dans la logique du réductionnisme : On doit faire entrer ce qu'on décrit dans un moule rigide, quitte à découper ou à allonger. (Mythe du lit de Procuste)
IV Les grands courants structuralistes
1. Fonctionnalisme(École européenne de Martinet) | Ce courant dégage une procédure pour analyser la phonologie, puis la généralise aux autres niveaux. (morphologie, lexicologie, syntaxe).
Les unités n'ont de valeur linguistique que par rapport à leurs possibilités d'opposition ou de combinaison. |
2. Distributionnalisme,école américaine,en parallèle au fonctionnalisme. (Harris et Bloomfield) | Le distributionnalisme a eu ses heures de gloire des années 1930 à 1950. Cette école est issue du behaviorisme avec l'idée du comportement langagier en stimulus /réponse. On se base sur un empirisme radical, sur ce qu'on constate. La sémantique est considérée comme du mentalisme. La langue est un corpus (un recueil de données linguistiques brutes dont on a une trace perceptible) et la place du sens n'est pas dans la linguistique. La description se fait selon le modèle de la linguistique anthropologique lors de la découverte d'une langue étrangère.
L'un des grands ouvrages en est : Bloomfield (1933), Language Série de combinaisons et de sélections dans le paradigme qu'on installe sur le syntagme. |
V L'influence du structuralisme
Les linguistiques structurales vont influencer :
a . La linguistique générative de Chomsky. | Pour le mouvement génératif, on part de la syntaxe dont on dégage un corps de concepts puis on les généralise à la phonologie, la morphologie et la sémantique. |
b. La psychosystématique de Gustave Guillaume | Dynamique basée sur la morphologie. |
VI Les grands poncifs du structuralisme
1. Paradigme et syntagme
PARADIGME |
SYNTAGME |
Axe de sélection sur lequel on peut effectuer des commutations | Axe de combinaisons où on opère des permutations |
ex. "j'ai vu mon […]"
On peut illustrer cette idée d'axe et de connexion de contexte par rapport à la connexion d'opposition par le principe de la machine à sous.
- Axe de combinaisons de formes : ex. citron - pomme - orange (syntagme)
|
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Dans un exemple comme:
- À un premier niveau on met en opposition les deux phonèmes /b/ et /p/. Ce qui est étudié c'est le rôle distinctif joué par l'opposition "p" et "b" qui apportera un sémantisme différent.
- À un second niveau, celui du morphologique, on observera la structure "il a -u" où /u/ joue un rôle fondamental. On verra qu'on a affaire à deux passés composés de deux verbes du même groupe commutables sur un axe paradigmatique.
- Au troisième niveau, celui des lexèmes, on comparera "boire" à "pouvoir" qui renvoient tous deux à une image mentale empirique.
- Au quatrième niveau, on s'intéressera à la syntaxe, autrement dit aux combinaisons de formes.
Pour résumer, nous dirons qu'aux yeux des structuralistes, les formes linguistiques, quelles qu'elles soient, sont reliées entre elles selon deux fonctions :
- fonction distinctive (mise en opposition)
- fonction combinatoire (possibilité de mise en contexte)
- ou les deux (ex. Le rouge et le noir)
Le langage humain se singularise par le phénomène de la double articulation :
La première articulation est constituée par les unités significatives que sont les unités lexicales et grammaticales. Le unités distinctives dépourvues de sens en elles-mêmes forment la deuxième articulation.
On peut schématiser de la façon suivante :
Nomenclature |
Structure |
liste de mots ex: dictionnaire |
agencement de combinaisons |
On peut faire une comparaison avec un jeu d'échec. Chaque pièce se déplace différemment sur l'échiquier, mais la combinaison de ces pièces fait que chaque pièce prend sa valeur par rapport au reste du jeu.
2. Forme et substance
À chacun des signifiants et signifiés que Louis Hjelmslev (1968) appelle expression et contenu, on peut attribuer une forme et une substance. Ainsi, on pourrait faire la représentation suivante :
FORME |
SUBSTANCE |
|
EXPRESSION (= signifiant) |
phonèmes, morphèmes, lexèmes, syntagmes |
phones, morphes, prédication, énoncés (production physique et individuelle des formes) |
CONTENU (= signifié) |
Concept en système, délimité, spécifique et distinctif |
Matière |
VII L'appréhension des phénomènes énonciatifs.
Dans la tradition stucturale née de Saussure | la langue est un objet d'étude extérieur au monde et s'oppose à la parole et ne prend pas en compte les situations discursives. |
Toutefois, en grammaire générative | on considère la langue en mouvement et on envisage le concept de "locuteur idéal »pourvu d'une compétence qui sera mise à profit lors de la performance. Cependant la co-énonciation n'est pas prise en considération. |
Les énonciativistes | pensent que qui dit énonciateur implique co-énonciateur (allocutaire).
Ils prendront le problème sous l'angle du repérage (localisation d'une notion par rapport à une autre notion ou par rapport à la situation), et remarqueront que l'un de ces énoncés n'est pas autonome et implique un ancrage contextuel ou situationnel pour être considéré comme valide. Au niveau du verbe: - ordonnancement des procès, - procès par rapport à la situation présente. « Pierre, il ne se sent pas bien, il a bu ». Par ailleurs, on a affaire dans les deux cas à un procès accompli au moment de l'énonciation. Cependant, on remarquera le fait que «pu » appelle généralement une suite et que l'énoncé perd sa signification, sans ce repérage : « Il a pu voir Marie. » De plus, « bu » marque le constat d'un procès, alors que « pu » renvoie à une modalité, c'est à dire un commentaire de l'énonciateur sur les propriétés du sujet. |
L'analyse des formes se fera d'un point de vue différent selon les niveaux d'analyse:
Au niveau syntaxique | fonction du constituant |
Au niveau sémantique | rôle de la notion |
Au niveau énonciatif | statut de l'information |
Lorsqu'on analyse les formes, tous les niveaux devraient être pris en compte.
Ainsi le même objet linguistique pourra changer d'étiquette selon le point de vue de l'analyse :
Phrase | sur le plan formel |
Proposition | sur le plan sémantique |
Énoncé | sur le plan énonciatif |
VIII La linguistique énonciative
Il s'agit d'un groupe d'écoles de linguistique étudiant le langage tel que mis en situation par l'activité d'un énonciateur.
La linguistique énonciative postule, et ne renie pas le structuralisme. Elle en hérite, c'est une étape de travail :
1.travail de taxinomie
2.construction d'une continuité.
Avec l'énonciation, c'est l'acte même de produire un énoncé et non simplement l'énoncé lui-même qui est étudié.
C'est la langue dans son utilisation qui est étudiée, et non la langue réifiée comme une langue morte, comme c'est le cas pour le structuralisme qui considère le référent comme ne faisant pas partie de la langue mais du monde. Ce dernier ne fait pas partie des objets de réflexion.
Ainsi, contrairement aux structuralistes qui pensent qu'on ne peut pas connaître les sens d'un mot sans l'opposer ou le combiner à d'autres formes linguistiques, les énonciativistes pensent qu'on peut se passer du contexte linguistique, si la situation nous met en présence du référent.
ex. En forêt, l'énonciateur pourra dire :
Une oronge est un champignon
mais aussi :
Une oronge, c'est ça.
Tiens ! Une oronge.
sans faire appel au contexte linguistique.
Les formes linguistiques sont prises en charge par des énonciateurs et reçues par des co-énonciateurs qui y répondent. Le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine le fonctionnement des formes. On peut même dire que le fait qu'il y ait un énonciateur et un co-énonciateur détermine la valeur sémantico-syntaxique des formes.
Les grands noms de la linguistique énonciative
Benveniste | Les deux articles les plus considérables sont :
« La nature des pronoms » (1956) dans lesquels il pose les jalons de l'énonciation sans la nommer « L'appareil formel de l'énonciation » (1970) où il explique les fondements de l'énonciation en connaissance de cause. Benveniste se réclame du structuralisme de Saussure et rend hommage à Roman Jakobson. Il remet en question la dichotomie langue/parole, opposition introduite de façon opératoire par Saussure. « Rien n'est dans la langue qui n'ait d'abord été dans le discours ». On lui reproche de mélanger l'activité de langage et le monde. L'une des questions qu'il se pose préalablement est : Quel est le signifié de « je » dont le référent varie en fonction du locuteur, instance de discours ? Certaines formes ne sont pas aussi stables que « table » : Emmène-moi ailleurs. Demain, on rase gratis Passe-moi ce livre (accompagné d'une monstration) deixis. (je, ici, maintenant) Ces même remarques peuvent s'appliquer au verbe aller/venir à l'aspect passé composé : « Il est arrivé » |
Ducrot | S'inspire des philosophes du langage Austin et Searle. Il montre l'importance de la situation discursive et de la pragmatique. Il intègre la composante pragmatique à la sémantique. On peut dire qu'il relève d'un structuralisme divergent. On ne peut pas décrire les énoncés sans faire référence aux conditions énonciatives.
Il pose l'existence d'un énoncé, noyau sémantique stable pouvant diverger selon les conditions d'énonciation. forces locutoire, illocutoire, effet perlocutoire. « qu'est-ce que tu fabriques ? » = « arrête de faire ce que tu fais ». « justement » « décidément » Ducrot s'intéresse aussi à l'implicite (ce qui est dit sans dire) : - les sous-entendus Les présupposés sont indéniables mais on peut nier avoir fait un sous-entendu. |
Culioli | Quant à lui est plus dans la mouvance de Benveniste même s'il s'inspire d'une philosophie stoïcienne, basée sur les processus et les changements d'états. On s'intéresse plus au dicible (lekton traduit en latin par dictum) qu'au dit. (Curieusement, il se rapproche en cela de Saussure et de Chomsky)
Il existe pour chaque énonciateur un faisceau de propriétés physico-culturelles (physique ou social) La Notion est prédicative et modalisable. C'est le monde de l'Instabilité Les mots sont des capteurs de l'organisation du monde. Le Domaine notionnel est déformable. ex. Pour moi, ce n'est pas un chien, c'est une saucisse sur pattes. |
(© Henriette Gezundhajt, Départements d'études françaises de l'Université de Toronto et de l'Université York à Toronto, 1998 - 2015)
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Révision Générale I
Comme Révision Générale I, nous vous proposons de lire et de travailler sur le texte suivant :
La linguistique© Hachette Multimédia/Hachette Livre
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SommaireDe la grammaire à la linguistiqueLe Cours de linguistique générale de Ferdinand de SaussureLeonard Bloomfield et le structuralisme américainLe cercle de Prague et la phonologieL'école de Copenhague et la glossématiqueLa linguistique françaiseVers une grammaire générativeLa sociolinguistiqueLa psycholinguistiqueLa linguistique appliquéeLa linguistique, science modèleLa linguistique, une science en crise
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La tour de Babel (huile sur bois, 1563) "Tout le monde se servait d'une même langue et des mêmes mots" La linguistique est, selon Ferdinand de Saussure, la science ayant pour objet «la langue envisagée en elle-même et pour elle-même». Si cette définition a servi de cadre au développement de la linguistique structurale, l'étude de la langue et des langues connaît aujourd’hui de nombreux prolongements qui lui échappent. De la grammaire à la linguistique Les plus anciennes théories connues du langage apparaissent il y a près de vingt-cinq siècles en Inde et en Grèce. Panini rédige au IVe siècle avant notre ère une grammaire du sanskrit qui constitue à la fois une excellente description de sa langue et une réflexion aiguë sur son fonctionnement. En Grèce, l'étude du langage est liée à la philosophie qui étudie le lien entre langue et logique – les deux mots provenant du grec logos. Platon (Ve-IVe siècle av. J.-J.) et Aristote (IVe siècle av. J.-C.) s'y intéressent.
Au début du XIXe siècle apparaît en Europe la grammaire comparée, qui tente de reconstruire les langues originelles dont proviennent les différentes langues du monde. Depuis les remarques de William Jones en 1786, on connaît les analogies entre le sanskrit et la majorité des langues d'Europe, et il s'agit de comprendre de quelle façon toutes ces langues sont apparentées. Les travaux de Franz Bopp, des frères Grimm et de Friedrich von Schlegel déboucheront d’abord sur l'élaboration de lois phonétiques rendant compte de l'évolution des sons à travers le temps. En appliquant ces lois au problème de la langue mère, on parviendra ainsi à reconstruire une langue hypothétique, baptisée indo-européen. Le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure Le Suisse Ferdinand de Saussure (1857-1913) est le premier à effectuer une analyse de la langue de type structural, les éléments du système étant définis sur la base de leur fonction et non pas sur celles de leurs caractéristiques phoniques. Sa théorie est présentée dans son Cours de linguistique générale (1916), qui va révolutionner l'étude des faits de langue.
On y trouve des distinctions qui vont être au centre des conceptions de la linguistique du XXe siècle: distinction entre le langage (la faculté générale qu'ont les êtres humains de parler), la langue (chaque instrument linguistique particulier) et la parole (l'ensemble des réalisations individuelles); distinction entre les relations syntagmatiques (relations qu'une unité linguistique entretient avec d'autres unités présentes dans la chaîne du discours) et les relations paradigmatiques (relations qu'elle entretient avec des unités absentes et qui pourraient occuper sa place); distinction entre le signifiant (c’est-à-dire la forme concrète acoustique ou phonique) et le signifié (le concept, le contenu sémantique, l'ensemble des réalités à quoi renvoie le signifiant). De plus, l'étude synchronique est à distinguer de l'étude diachronique, c’est-à-dire que, dans le premier cas, la linguistique étudie des états de langue à un moment donné et, dans l'autre, l'évolution linguistique.
Pour Saussure, tous les faits de langue sont à étudier et la linguistique doit donc abandonner tout point de vue normatif. Ce principe implique également que toutes les langues sont dignes de devenir objet d'étude, aucune n'étant supérieure à une autre ou plus intéressante qu'une autre. Leonard Bloomfield et le structuralisme américain C'est avec Edward Sapir (1884-1939) et Leonard Bloomfield (1887-1949) que la linguistique américaine va prendre ses caractéristiques propres. E. Sapir est surtout connu par ses travaux sur les rapports entre langue et vision du monde (en particulier, «l'hypothèse Sapir-Whorf» selon laquelle la langue organise la culture d'une communauté). L. Bloomfield élabore une théorie linguistique béhavioriste qui refuse de prendre en compte le sens des énoncés pour ne travailler que sur les comportements associés à l'usage de ces énoncés, la communication étant ramenée au modèle stimulus‑réponse. Dans son ouvrage le Langage (1933), L. Bloomfield insiste surtout sur la segmentation de l'énoncé linguistique en unités (la phrase est segmentée en constituants immédiats, puis en morphèmes), dont il étudie la distribution et classe les variantes Le cercle de Prague et la phonologie En 1926, une équipe de jeunes chercheurs russes (Roman Jakobson, Nikolaï Troubetzkoï) et tchèques (Vilem Mathesius, B. Trnka, J. Vachek) fonde le cercle linguistique de Prague. Distinguant la phonétique de la phonologie, la première étudiant les sons de la parole et la seconde les sons de la langue, ces chercheurs fondent la phonologie structurale qui conçoit la langue comme un système répondant à une fonction (la communication) et mettant en œuvre les moyens nécessaires pour assumer cette fonction. Dans les Principes de phonologie (publ. posth., 1939), N. Troubetzkoï définit le phonème comme la plus petite unité fonctionnelle, et l'opposition phonologique comme l'opposition phonique qui permet de distinguer deux unités sémantiques.
D'autres linguistes se joignent au cercle de Prague, comme le Britrannique Daniel Jones et les Français Émile Benveniste et André Martinet, qui sont les principaux propagateurs de ces thèses. L'école de Copenhague et la glossématique Deux linguistes danois, Louis Hjelmslev et Knud Togeby, ont repris de l'enseignement de F. de Saussure l'idée que la langue est une forme et non pas une substance, créant la glossématique (du grec glôssa signifiant «langue») et s'efforçant de construire une sorte d'algèbre de la langue considérée comme pur jeu de différences. Sur le modèle du cercle de Prague, L. Hjelmslev crée, en 1931, le cercle linguistique de Copenhague. Les Prolégomènes à une théorie du langage (1941) restent son texte le plus important. Dans cette approche épistémologique, seule la présentation du couple connotation/dénotation, reprise et transformée par Roland Barthes, a fait école. La linguistique française Les deux figures marquantes de la linguistique française moderne sont Emile Benveniste et André Martinet. Benveniste a systématisé la notion de racine (une voyelle alternante entre deux consonnes) et s'est très vite converti à une approche structurale du lexique, étudiant en particulier le vocabulaire des institutions indo-européennes. Puis il s'est consacré à la linguistique générale (Problèmes de linguistique générale, 1966-1974), apportant des contributions importantes à la théorie de l'arbitraire du signe et à celle des temps et des pronoms.
A. Martinet propose une théorie générale de la langue, connue sous le nom de fonctionnalisme, approche structurale qui ne néglige pas pour autant la dimension historique et qui analyse les faits de langue à la lumière de la fonction – considérée comme centrale – de communication. Partant de l'acquis de la phonologie – qu'il a contribué à améliorer, en particulier en ce qui concerne la théorie de l'archiphonème et de la neutralisation –, A. Martinet élabore la notion de double articulation, posant que la langue est segmentée, d'une part, en monèmes (unités linguistiques ayant à la fois une forme et un sens, qu'il va classer à partir de la façon dont elles marquent leur fonction) et, d'autre part, en phonèmes (unités linguistiques n'ayant qu'une forme et pas de sens); cette vision lui permet de montrer comment quelques dizaines de phonèmes permettent de former des milliers de monèmes qui, à leur tour, s'assemblent dans les énoncés linguistiques. Vers une grammaire générative Se situant tout d’abord dans la lignée de l'école bloomfieldienne, l'Américain Zellig Harris formule les principes de l'analyse distributionnelle, en particulier dans Methods in Structural Linguistics (1951). Il repousse l'utilisation du critère de sens pour fonder la description linguistique sur l'inventaire de la distribution des phonèmes et des morphèmes, c’est-à-dire sur la somme des environnements de ces unités. Il développe ainsi une analyse de la phrase en constituants immédiats.
Z. Harris évolue ensuite vers une linguistique transformationnelle en partant essentiellement du problème des ambiguïtés syntaxiques. Si une phrase peut avoir deux sens, cette difficulté peut être expliquée en remontant au noyau à partir duquel, par transformation, est construite cette phrase. Dans un autre domaine, l'apparente identité de structure de deux phrases – le menuisier travaille le dimanche et le menuisier travaille le bois – peut être réfutée en constatant qu'elles ne se prêtent pas aux mêmes transformations.
Noam Chomsky, disciple de Z. Harris, va utiliser cette idée de transformation d'une tout autre façon. Voulant dépasser le stade classificatoire de la linguistique, il veut élaborer un modèle des langues et du langage, et part du principe qu'une grammaire est constituée par un ensemble fini de règles permettant de produire un ensemble infini de phrases.
Une description syntaxique (ou grammaire générative) doit donc être pour N. Chomsky l'ensemble des règles dont l'application permet de produire toutes les phrases correctes de la langue.
Revenant aux conceptions de La sociolinguistique Le Français Antoine Meillet (1866-1936) est le premier à insister sur les rapports entre la langue et la société. Dans un article intitulé «Comment les mots changent de sens», il s'attachait à étudier les liens entre milieux sociaux et variantes linguistiques. De façon plus générale, A. Meillet considérait que le langage est un fait social et que la tâche du linguiste est de préciser à quelle structure sociale correspond une structure linguistique déterminée.
Après avoir été longtemps négligée, l'analyse sociale du langage viendra de deux horizons très différents, celui de linguistes se réclamant du marxisme et celui de la sociolinguistique américaine.
Pour ce qui concerne le marxisme, c'est surtout Paul Lafargue qui, dans un article consacré à «
La nouveauté vient des Etats-Unis où se développe, à partir des années 1960, une ethnologie de la parole, autour de chercheurs comme Dell Hymes ou John Gumperz, qui travaillent sur les interactions et les enjeux que l'on peut déceler derrière l'utilisation de la langue. À la même époque, en Grande-Bretagne, Basil Bernstein étudie les rapports entre formes linguistiques et classes sociales.
Plus important est l'apport de William Labov, tant au niveau méthodologique que sur le plan théorique. Saisissant le langage dans son contexte social, il en vient à définir une communauté linguistique comme un groupe de locuteurs qui partagent un ensemble d'attitudes sociales envers la langue: non pas des individus qui pratiquent les mêmes variantes, mais des gens qui jugent ces variantes de la même façon. La psycholinguistique Certains chercheurs ont voulu mettre l'accent sur les relations entre les messages échangés par les interlocuteurs et l'état mental de ces interlocuteurs: c'est le domaine de la psycholinguistique. Cette science prit corps dans les années 1950 autour de psychologues (C.E. Osgood, J.B. Caroll) et de linguistes (T.E. Sebeok, F.G. Lounsbury). Le projet initial de la psycholinguistique était d'analyser la façon dont les intentions du locuteur étaient transformées en messages que l'interlocuteur pouvait interpréter. Le psychologue B.F. Skinner intervint à son tour dans le débat, en proposant (le Comportement verbal, 1957) une psychologie du langage fondée sur le comportementalisme. D'autres psychologues, comme le Soviétique Lev Vigotski ou le Suisse Jean Piaget, apporteront également leur contribution à la construction de la nouvelle discipline. Les chercheurs influencés par les théories de N. Chomsky vont, pour leur part, développer une approche psycholinguistique dans le cadre de l'analyse générative. La linguistique appliquée La linguistique appliquée consiste dans l'utilisation des méthodes de la linguistique ou des résultats des descriptions linguistiques pour résoudre différents problèmes techniques ou sociaux.
L'application de la linguistique à l'enseignementEn premier lieu, la linguistique a beaucoup apporté à l'enseignement des langues, qu'il s'agisse de la langue maternelle ou des langues étrangères. On a pu, par exemple, montrer que les difficultés rencontrées dans l'étude d'une langue étrangère étaient en partie explicables par les différences de structure entre la langue source et la langue cible, et qu'il était possible d'élaborer des méthodes d'enseignement des langues étrangères spécifiques à une langue maternelle. Ainsi, le mot français bois, qui désigne à la fois la matière («du bois») et un ensemble d'arbres, s'oppose à forêt («un ensemble d'arbres plus étendu»), alors qu'en espagnol leña ne désigne que le bois de chauffage, madera désigne le bois de construction, bosque désigne une petite forêt et selva une forêt plus importante. Un Français apprenant l'espagnol aura donc du mal à dominer ce vocabulaire. Cette approche, qui porte le nom de linguistique contrastive, part de l'analyse des fautes commises par les débutants, cherche leur explication dans les différences de structure (syntaxiques, phonologiques, sémantiques) entre la langue maternelle et la langue étudiée, et débouche sur une méthodologie pédagogique appropriée, proposant une progression et des exercices correctifs.
On a pu aussi montrer que certaines difficultés d'apprentissage du calcul, en particulier chez des enfants de migrants, n'étaient pas liées au calcul lui-même, mais à des difficultés de compréhension de la langue dans laquelle on enseignait cette discipline, ce qui a porté l'attention à la fois sur l'importance de la langue d'enseignement et sur l'inégalité des enfants issus de classes sociales différentes face à l'école. La linguistique appliquée à l'enseignement est donc une branche importante de la linguistique appliquée, qui a aujourd’hui sa place dans la formation des enseignants.
L'application de la linguistique à la traductionUn autre domaine dans lequel les recherches linguistiques ont une application immédiate est celui de la traduction, en particulier la traduction automatique. La multiplication des ordinateurs a laissé espérer la possibilité de remplacer le traducteur humain par une machine, ce qui impliquait des descriptions formelles de la syntaxe et de la sémantique des langues concernées. De ce point de vue, les travaux de Noam Chomsky (qui partait de l'hypothèse qu'il y a des structures communes à toutes les langues) ont paru un temps prometteurs, mais on s'est aperçu qu'on ne pouvait pas transposer de façon automatique une langue dans une autre, et qu'il était nécessaire de passer par une sorte de langue intermédiaire, de caractère universel. Ces travaux ont ouvert la voie à des recherches concernant la linguistique mathématique et les universaux du langage, mais les résultats sont pour l'instant limités.
D'autre part, la mise au point de langages de programmation nécessite une réflexion interdisciplinaire entre linguistes et informaticiens, tandis qu'à l'inverse les travaux sur l'intelligence artificielle impliquent que les linguistes utilisent largement l'informatique.
Les applications de la psycholinguistique Dans le domaine de la psycholinguistique, les applications sont également nombreuses, qu'il s'agisse de l'étude des troubles du langage et de leurs rapports avec les lésions corticales ou avec des maladies mentales: la phoniatrie, la neurolinguistique, la psychopathologie ou la pathologie du langage sont ainsi des domaines privilégiés d'application de la linguistique, qui est une aide précieuse dans la compréhension et le traitement des troubles de l'acquisition et du maniement du langage.
Les applications de la sociolinguistiqueEnfin, la sociolinguistique a, entre autres débouchés, un domaine d'intervention fondamental dans ce qu'on appelle la planification linguistique, en particulier dans les pays ayant obtenu récemment leur indépendance: analyse du plurilinguisme, étude de l'émergence de langues véhiculaires, proposition de langues d'unification, de scolarisation, normalisation du vocabulaire, néologie, etc. Les linguistes jouent donc un rôle central dans la description des situations, la mise au point d'alphabets pour les langues non écrites, la standardisation des langues dialectalisées, l'élaboration de manuels scolaires, toutes choses nécessaires lorsqu'un gouvernement décide par exemple de promouvoir au statut de langue officielle une langue locale en remplacement d'une langue héritée de l'époque coloniale. Mais il faut alors choisir, parmi les nombreuses langues en présence, celle qui pourra jouer ce rôle, et l'«équiper» en conséquence. On distingue ici entre la politique linguistique (c’est-à-dire les grands choix en matière d'intervention sur la langue ou sur la situation linguistique, qui relèvent de l'État) et la planification linguistique (l'application concrète de ces choix qui nécessite l'intervention des linguistes).
Les politiques linguistiques peuvent chercher à intervenir sur la langue (lorsqu'on veut normaliser, lutter contre les emprunts à des langues étrangères, moderniser en créant de nouveaux mots) ou sur les langues (lorsque l'on veut changer les rapports entre les langues en présence). Dans le premier cas, on notera l'exemple du Québec, qui lutte contre l'influence de l'anglais sur le français, ou de La linguistique, science modèle La phonologie a, par sa rigueur méthodologique, très vite séduit des spécialistes d'autres sciences humaines. En 1942, Claude Lévi-Strauss découvre le structuralisme en suivant les cours de R. Jakobson. L'anthropologie française, jusque-là influencée par les sciences de la nature, va dès lors emprunter la démarche de la linguistique générale, qui sera appliquée à des domaines très éloignés de la langue.
Au début des années 1950, le psychanalyste Jacques Lacan découvre à son tour la linguistique. Il va en appliquer le modèle au fonctionnement de l'inconscient, énonçant que celui-ci est structuré «comme un langage».
Le structuralisme est alors à la mode, et la linguistique est la science structurale par excellence, l'application privilégiée de cette nouvelle approche. L'historien Pierre Vilar, l'économiste François Perroux, le philosophe Henri Lefebvre, le psychologue Robert Pagès font, parmi d'autres, un usage fréquent de l'approche structurale, et la linguistique est admirée pour ses procédures de description qui, pense-t-on, échappent au psychologisme. Grâce à la linguistique, les sciences de l'homme paraissent pouvoir rivaliser en rigueur avec les sciences exactes, malgré les mises en garde de certains linguistes qui s'élèvent contre cette utilisation métaphorique de leurs concepts. La linguistique, une science en crise La linguistique va cependant se retrouver confrontée à toute une série de questions auxquelles l'approche structurale ne peut plus répondre. Dans un premier temps, on avait considéré qu'il existait une linguistique générale, traitant de la langue considérée comme système abstrait, et articulée traditionnellement en trois grandes branches: la phonologie, la syntaxe et la sémantique. La linguistique européenne entreprenait de se construire à partir du modèle phonologique de l'école de Prague, tandis que la grammaire générative tentait de subordonner la sémantique et la phonologie à la composante syntaxique, considérée comme le noyau central d'une théorie de la langue. Mais s'il était relativement facile d'analyser les sons du langage en termes de structure, cette approche semblait moins bien s'adapter à la syntaxe, tandis que l'univers du sens résiste encore plus à l'analyse. On s'est rendu compte qu'il était malaisé de tenir un discours théorique englobant l'ensemble des faits de langue.
En outre, la science éclatait dans diverses directions, que l'on allait tout d’abord tenter de considérer comme des sous‑branches de la linguistique générale: la sociolinguistique, la psycholinguistique, la linguistique appliquée. Or chacune de ces branches posait des questions théoriques qui remettaient parfois en cause les modèles jusque-là utilisés et l'unité de la linguistique.
Enfin, on voyait les points de vue et les approches descriptives varier considérablement. On se rendit ainsi compte que l'unité de la science linguistique reposait sur une sorte de fiction, que le modèle hérité de la phonologie et que toutes les sciences humaines avaient copié ne permettait pas de fédérer la pluralité des directions de recherche et des centres d'intérêt.
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